Le jour de notre arrivée en Italie, une fois passée la ville de Florence proprement dite où nous étions bien trop occupées à chercher notre direction au pifomètre (prend la sortie avec le pont, oui, ça a l’air bien par là – intuition pour le moins floue mais néanmoins exacte) pour que je puisse baguenauder du regard à travers la vitre arrière, j’ai aperçu sur le panneau d’affichage d’un petit village une affiche de danse. Rien besoin de plus pour déclencher le radar et regarder de tous côtés pour retrouver la même affiche. A chacune, j’ai glané un élément d’information : l’étoile, puis le mois et le jour – dans les limites de notre séjour. Ne manquait plus que le lieu, alors autant vous dire qu’en revoyant l’affiche devant les jardins de Boboli, ni une ni deux, j’ai traîné dare-dare ma mère et Caroline à la Porta Romana, où devait se trouver la billetterie.
Le choix n’était plus immense à quelques jours du spectacle, impossible notamment d’obtenir des places à côté : ce sera donc trois places séparées mais de première catégorie (heureusement d’ailleurs, parce qu’ils en avaient une vision assez large – au sens strict du terme : on pouvait se retrouver au troisième rang, mais à une place très excentrée dont l’angle de vision coupait un angle de la scène – le coin supérieur côté cour, où commencent les diagonales à tout hasard. Heureusement bis, j’ai échangé avec ma charmante petite maman ^^).
En réalité, le jour venu, nous avons assisté à deux spectacles : celui qui se passait sur scène et celui non des coulisses, mais du public. Soirée ethnographie et art donc, qui a débutée de manière tout à fait folklorique puisque l’entrée était prise en otage par un groupe de manifestants avec banderole et mégaphone. Nous n’avons pas réussi à comprendre ce dont il retournait (des sortes d’écolos mais version punk), mais avons du éviter ce qu’ils retournaient, id est des seaux de purins. C’est donc en marchant sur des œufs, sous la banderole et le nez crispé que la foule des grandes bourgeoises italiennes est entrée dans l’arène. Parce que les gens sont vraiment habillés pour sortir : il y avait de quoi faire sa sélection de robes de soirée… en revanche, les talons aiguilles dans les cailloux n’étaient pas la plus heureuse des idées (mais après le purin, par quoi auraient-elles pu être arrêtées ?).
La scène était en effet montée dans les jardins de Boboli, le Versailles local. A ceci près que les Italiens ont eu la jugeote de ne pas monter la scène sur un plan d’eau (pour un sol glissant et un spectacle écourté, il n’y a pas mieux) et que la végétation qui se découpait en arrière-scène formait une véritable toile de décor, colorée par les projecteurs et traversée de temps à autres par une chauve-souris. Un décor enchanteur, comme on dit dans les journaux.
Lorsque le spectacle commence sur scène, s’annonce celui du public qui n’a pas fini de se placer et ne se hâte pas pour gagner sa place : pendant tout le premier pas de deux, les ouvreuses n’ont pas cessé de passer et repasser juste devant mon rang (il y avait une allée juste devant) pour placer les retardataires, avec le pas léger d’un troupeau d’éléphants sur un ponton. Je fulminais et l’humeur massacrante n’est pas précisément requise pour apprécier un pas de deux tel que l’Arlésienne, normalement tout en intensité et émotion. Celle qui a prise la salle n’est pas précisément celle que l’on aurait attendue : au moment où Roberto Bolle a tombé la chemise (dans le contexte, il se déshabille après les noces, face à la mariée, alors qu’il est toujours hanté par l’Arlésienne, figure insaisissable), face aux tablettes de chocolat du danseur, le public féminin (c’est-à-dire quasiment tout le public) est entré en émoi avec des cris de pâmoison. « Robiiiiiiiiiiie » : oh my God, où suis-je tombée, bordel ? – je n’aurais pas imaginé autrement un concert de Robie Williams. Vraiment, je suis tombée sur le cul ; encore heureux, j’étais assise.
A cet instant, je me suis souvenue de l’affiche, qui aurait du m’inciter à la méfiance : Roberto Bolle and friends. Quid des amis, on ne sait, et du programme n’en parlons pas. Tellement bien programmé d’ailleurs, que le programme imprimé qui précisait les chorégraphies non annoncées sur l’affiche (ni ailleurs) n’a pas été suivi et le temps que je comprenne que le charabia italien au micro ne demandait pas d’éteindre les portables (de toutes façons les Italiennes sont sonnées) mais donnait l’ordre des extraits, il était trop tard, je ne saurai pas quel était l’un de mes pas de deux préférés.
Mais revenons à notre mouton coupe au Bolle, puisque c’est pour lui que venait le public. Cette tête d’affiche au corps de statue grecque (remotivation de la catachrèse « un Apollon ») aurait été parfaite à planter là, dans le jardin, parmi ses semblables, afin de laisser la place aux « friends ». Ce n’est évidemment que mon avis, visiblement non partagé du public : grande concentration lorsque Robie est en scène, et après avoir fait tout un cirque d’applaudissement, ça se remet à causer au numéro suivant – trop d’émotions et de concentration, vous comprenez. Comme mes voisines de derrière semblaient avoir un gilet pare-balle aux regards assassins, j’ai du moi aussi parler, pour leur demander de se taire. Le « Shut up » excédé n’était pas loin mais plus d’un grand usage puisque le bruit n’était plus la jactance de la grande bourgeoise à la robe aussi blanche que sa peau était cramée, mais celui d’un pschit pschit que l’ai d’abord pris pour du parfum (des fois que Robie sente quelque chose à
cette distance) mais qui devait être de l’anti-moustique, vu qu’elle le répandait partout autour.
La première grande pulsion meurtrière est donc pour l’admiratrice. Dans un second temps, elle se calme (la pulsion, pas l’admiratrice), remplacée par une stupeur amusée, ou plutôt déviée sur l’admiré même. J’en avais déjà l’intuition avec Ganio (mais il joue petit bras à côté), c’est à présent officiel, je déteste les beaux gosses qui savent qu’ils le sont et font savoir qu’ils le savent. Peut-être était-ce parce que le danseur de la Scala était « chez lui » qu’il se faisait plaisir, mais la tête d’affiche n’en était pas moins à claque(s). Le manque de modestie (pour pratiquer la litote) était d’autant violent qu’il était immotivé, puisqu’il devait être le moins bon de tous – peut-être pas techniquement, mais artistiquement, cela ne faisait pas un pli. Pas un pli sur le visage non plus, toujours éclairé d’un sourire Colgate. Et si dans l’Arlésienne, le personnage est proche de la folie, Robie est surtout torturé du capillaire (oh non, pas de ce côté, oh non, pas de celui-là non plus, mon dieu, cela va me décoiffer). A la fin, lorsqu’il se défenestre, on a moins l’impression qu’il se suicide qu’il ne se jette dans son public en furie (pssst, de l’autre côté andouille)… image anticipée de la fin du spectacle où (non non il ne se jette pas dans la foule quand même, je vous rassure) il revient seul en scène, et ramasse les roses rouges que lui jette public levé et amassé au bord de la scène. Touche les pieds puants de ton idole (qui n’a d’un dieu que le corps – et comme Dieu est invisible, mes agneaux, vous imaginez la présence scénique) ! Elvis presse-les !
Incroyable.
Voilà pour la partie anthropologique de la soirée. Comme il s’agissait tout de même initialement d’un spectacle de danse, voici un aperçu des best friends.
L’Arlésienne, de Roland Petit
Comme cela se devine en filigrane, entre les gens et l’interprétation passée au fer à repasser d’un Robie très propre sur lui, j’ai eu un peu de mal à apprécier ce pas de deux qui m’avait pourtant fait tomber à la renverse dansé par Legris et Abbagnatto. Dommage, parce que sa partenaire, Sabrina Brazzo, elle aussi de la Scala, avait l’air pas mal du tout. Le souvenir qu’il en est resté, c’est la musique, que j’ai eu du mal à attraper mais qui tourne en boucle une fois qu’on l’a chantonné une fois. Puis deux, puis trois, tant et si bien que Caroline m’a offert le CD pour mon anniversaire. Elle connaissait l’air sans connaître la musique de Bizet : sur le livret du CD, il est en effet précisé que le compositeur a repris le thème d’un noël provençal. Voilà pourquoi il est si populaire.
Superbe pas de deux sans nom pour cause de programme non programmé déprogrammé et reprogrammé n’importe comment, sur une musique qui pourrait être du Vivaldi (mais avec l’oreille musicale que j’ai, il vaut mieux me croire sur parole qu’à l’oreille – c’est-à-dire ne pas me croire du tout), et dansé dans une synchronie parfaite (d’autant plus remarquable que le tempo est incroyablement rapide) par Arman Grigoryan et Vahe Martirosyan (par déduction sur les fiches des danseurs). Au vu des costumes rouges, de certains motifs de la gestuelle (comme la descente à terre en grand plié cinquième sur le coup de pied – qu’ils avaient d’ailleurs fort développé, surtout pour des garçons) et de leur origine (le Zürcher Ballett), ce devait être du Spoerli. Si jamais une balletomaniaque retrouvait les étiquettes de cet emballant duo masculin, ce ne serait pas de refus. Vraiment, la propreté d’exécution avec une telle vitesse, la précision des danseurs et la dynamique de la chorégraphie… Ca déboule sans déboulés mais avec roulades et autres mouvements trop rapides encore pour que l’impression rétinienne se décompose. Le regard est houspillé en tous sens et l’on commence à peine à appréhender ce que l’on apprécie d’entrée que le duo est terminé.
Suite Iranienne, de Béjart, avec Kateryna Shalkina et Julien Favreau. Et là, si l’on veut du beau gosse qui tienne la route, on est servi – puissance presque féline qui, contrairement à Robie plastique, fait tout sauf toc. Blague mise à part, ce danseur est un magnifique interprète, et s’accordait très bien avec sa partenaire en académique blanc (et pourtant on sait combien peu flatteur est ce genre de tenue).
Les indomptés, de Claude Brumachon, par Jiri et Otto Bubenicek, deux frères (jumeaux pour tant de ressemblance ?) époustouflants qui dansent à l’unisson (l’unigeste faudrait-il dire) sur une musique de Wim Mertens. La gestuelle des deux danseurs en jean, un peu torturée, m’a fait penser aux Epousés de Kader Belarbi. Etrange mais vraiment fascinant.
Mono Lisa, d’Itzik Galili, avec Alicia Amatrian et Jason Reilly
(la vidéo amateur est mal filmée, mais la danse est telle que cela vaut le coup de passer au-delà de la première minute agitée)
On aurait pu croire qu’il était difficile de faire passer quoi que ce soit après l’intensité de la chorégraphie précédente. C’était sans compter sur cette excellente surprise. On a tout d’abord un peu peur en entendant la bande-son relevant plus du bruitage que de la musique, mais cela ne dure vraiment pas. La mécanique des corps élastiques investit le plateau, et la musique cesse d’être à la limite du bruit pour se faire rythme. Presque celui de la respiration, forcément un peu rauque, des deux danseurs qui se jaugent, se défient et se surpassent à se dépasser l’un l’autre, toujours ensemble cependant (contre-exemple de ce qui suivra). La dynamique de la chorégraphie est formidable ( je me suis surprise à commencer à osciller en rythme sur ma chaise), mais Alicia Amatrian est tout bonnement extraordinaire. Un murmure d’ébaudissement qui paraissait réservé only à Robie s’est répandu devant une souplesse à couper le souffle du spectateur et les tendons de tout danseur normalement constitué (han, et le porté avec les jambes à quasiment 300° ! – j’ai cru un instant qu’elle les tenait en avant de son buste, comme une quatrième un peu ouverte, mais non, l’écart passé). Ce que j’adore, c’est que cette souplesse, loin d’être de type marshmallow, est couplée avec une détente et une précision redoutable : la frêle petite blonde devient une bête de scène prête à faire une enjambée de son partenaire, pourtant très bon danseur doté d’une belle présence scénique. On voit tous les muscles travailler, se tendre et se détendre en amples mouvements. Parce que vous ne pourrez pas imaginer c
onvenablement sa souplesse nerveuse et musclée, voici une vidéo amateur du spectacle dénichée sur youtube.
Pas de deux du cygne noir, avec Roberto Bolle et Shoko Nakamura (je crois)
Difficile de passer après Alicia Amatrian, à moins d’user du phénomène Robie : un très grand moment d’anthologie, mais pas forcément de danse. Dès les premières mesures on a pu entendre les progromes de l’hystérie : ma grande bourgeoise de voisine s’est notamment mise à chanter. Et alors que les applaudissement après l’adage duraient aussi longtemps que ceux qu’on attendrait seulement après la coda, empêchant le pas de deux de se poursuivre, j’ai soudainement pleinement réalisé qu’il allait y avoir la variation du garçon… un délire, évidemment. La danseuse était parfaitement assortie à son partenaire – même orgueil-, si bien qu’ils ont dansé côte à côte et non ensemble. Roberto se tenait derrière la fille parce que la chorégraphie l’exigeait, mais il était ravi d’occuper la scène à lui seul, et la rivalité était à son comble lors de la coda finale, qui ressemblait davantage à une compétition technique qu’à tout autre chose. C’était à qui passerait le plus de tour, qui aurait le plus de superbe, qui déclencherait le plus d’applaudissements : Shoko Nakamura, un peu en dedans des hanches jusqu’aux genoux enchaînait les difficultés avec un aplomb provocateur, tandis que Roberto, dans son habit rutilant de prince Ken, exécutait ses figures avec une finition très léchée et toujours le sourire colgate. Je crois bien n’avoir pas pu me dissimuler à moi-même un certain plaisir lorsque la fille, qui claquait des fouettés doubles en avançant dangereusement, a manqué de se casser la figure après être repassée en mode simple et alors que les applaudissements avaient éclaté – elle en a passé deux en sautillant à pieds plats avant de finir par un excédent de tours voulu mais non assumé qui l’a menée presque de dos (ou bien de profil, soyons gentils). Du coup, le caquet rabaissé (mais non point trop celui de Robie), sa dernière diagonale était enlevée juste ce qu’il faut. Tout un cirque, quoi.
Kazimir’s Colours, de Mauro Bigonzetti, avec Yen Han et Arman Grigoryan
Ce pas de deux à la palette effectivement riche de nuances aurait mérité de n’être pas placé juste après l’entracte (et que je revienne à ma place en retard – cette fois-ci il n’y avait ni indication de durée ni sonnerie, donc bon) et la danseuse de n’être pas affublé de ce short bicolore blanc-jaune, sorte de caleçon qu’elle semblait avoir emprunté à son partenaire… Difficile d’être plus précis, c’est typiquement le genre de chorégraphie calme, plaisante à voir, mais qui ne laisse pas de grand souvenir ensuite.
Le Grand Pas de Deux , de Christian Spuck, avec Alicia Amatrian et Jason Roberto Bolle
Quand j’ai vu le petit sac à main rouge, j’ai su que c’était bon, que c’était le pas de deux que j’avais vu dans une vidéo de gala de l’ABT, et que l’on allait bien se marrer. Il s’agit d’une parodie de grand pas deux classique dans laquelle le prince essaye tant bien que mal de faire danser sa partenaire à lunettes bien plus occupée à récupérer son sac à main qu’à se plier à l’exercice jusqu’à sa fin. Toutes sortes de ressorts comiques se trouvent employés : décalage avec des mouvements jazzy surgis de nulle part (seconde parallèle, mouliné des bras pour accompagner un déhanché – on se lâche) et entre les partenaires (le prince très princier, la princesse très dissipée), exagération des pas classiques (vivent les préparations en deux deux avec force violence des bras), clin d’œil à la technique (tête qui tourne après les pirouettes, et lunettes tenues pendant leur exécution ; préparations décalées sur le pied d’attaque ; désynchronisation des partenaires ; mains qui touchent à terre en plein poisson…) et gros comique type comedia dell’arte. Le prince fait rentrer la récalcitrante manu militari, ou plutôt pede militari, puisqu’il la traîne par la pointe avant de la faire tourner sur le ventre, bras en l’air (arrête !) et pattes repliées en arrière, comme une tortue sur le dos. Lorsque la danseuse reprend, elle y met toute la mauvaise volonté que lui suggèrent ses pieds douloureux ; en plein équilibre, elle rajuste ses lunettes, puis ayant retrouvé son sac mais ne sachant qu’en faire, elle en mord l’anse pour faire ses grands développés. Jouissif. Pour qui connaît un peu la danse, et pour qui n’y connaît rien.
D’ailleurs, la salle a bien ri (après un certain temps de réflexion tout de même, on n’allait pas risquer de se moquer de Roberto), et j’étais proche du fou rire, tant Alicia Amatrian est tordante dans ce rôle (ses mimiques et son coup de cygne croisé avec une tortue… ^^) Il semblerait que l’exceptionnel soir la règle, chez elle. On l’a vu pour la technique et ses incroyables capacités physiques dans la première partie, cela se confirme pour son interprétation et son sens de l’humour dans la seconde. On ne peut pas dire que le sens de l’autodérision soit aussi développé chez son partenaire, mais cela ne gâche rien au pas de deux : Robie devient risible de ne pas vouloir prêter à rire et de penser toujours à étaler sa technique (oui, oui, des tours à la seconde !). Ce Ken en puissance est parfait dans sa parodie de prince, serait-ce malgré lui. C’est grand. Vachement. D’ailleurs, il y a une vache qui s’est égarée sur scène.
Romeo et Juliette, de Béjart, avec Kateryna Shalkina et Julien Favreau
Les danseurs du Béjart Ballet sont toujours aussi beaux mais n’ont pas de chance : Roméo et Juliette, qui ne fait pas dans l’éclatant (sauf le blanc des costumes) a du mal à passer après la veine comique du pas de deux précédent. Et le prologue en français n’a pas du aider à leur concilier les Italien(ocentré)s. Ce n’est pas ce que je préfère chez Béjart, mais cela ne méritait pas la tiédeur de la salle.
101, de Eric Gauthier, avec Jason Reilly
Cette deuxième partie de soirée sera comique ou ne sera pas. Le tout début paraissait didactique, avec une voix omnisciente qui a blablaté un peu en anglais (pauvres Italiens) sur la danse. Puis qui affirme que la danse peut se décomposer en 101 positions. Et d’appeler Jason Reilly pour venir nous en faire la démonstration. La voix égrène le nombre des positions tandis que le danseur en T-shirt blanc et collants noirs s’exécute. Concession à la sixième position, le doute s’installe à la septième, et à la neuvième, je commence à rigoler. C’est qu’à partir de là défilent diverses positions plus ou moins orthodoxes, pour la plupart classiq
ues, puis de moins en moins : l’effet du rappel à l’ordre de la voix « oh, oh, let’s keep it classical ! » est de courte durée. A la place, certaines poses de défi débonnaires et quelques décompositions de mouvements contemporains. Après la démonstration de 100 positions (et le titre, alors, demandez-vous – patience !), la voix propose de compliquer le jeu et de composer une chorégraphie sous les yeux du public en énonçant les chiffres de positions dans le désordre. Cela se structure en effet, et l’on voit bien comment le mouvement naît des positions et les dépasse. La voix égrène les chiffres plus ou moins rapidement, elle est très articulée, très chantante et ses accélérations ou étirements pour suivre les mouvements du danseur ou au contraire les anticiper insuffle un certain rythme à ce qui devient une chorégraphie. On retrouve ce que j’aime particulièrement dans les classes que l’on ne prend pas mais que l’on observe, l’entrain, le sérieux d’un jeu où l’on ne pousse pas à fonds, et dans le ballon chez les garçons, une puissance assez désinvolte, qui ressort d’autant plus qu’elle est mieux maîtrisée.
Jason Reilly se prête parfaitement au jeu, se fait manifestement plaisir ; il se joue de la voix comme un élève essaierait de temps à autre d’échapper au professeur (en attitude à pieds plat « Balance ». Il reste à pied plat « balance ». Toujours. « Balance. Jason, I said balance ». Et de monter sur demi-pointes). Les répétitions de la voix sont toujours amusantes, comme lorsque l’enregistrement semble rayé à répéter le chiffre des sissones. Véritable rythme, la voix se fait musique, bientôt rejointe par quelques instruments, et le tempo s’accélère : le danseur semble pris de vitesse, et bientôt dépassé, comme le suggère le bruit crescendo d’un avion au décollage (ou d’une machine sur essorage, ça fait à peu près le même bruit, et le danseur est alors bien lessivé). Puis c’est le crash et le rideau. Rires et applaudissements. Très réussi. Alors la lumière se rallume sur le danseur étalé par terre et désarticulé, cependant que la voix conclut : « Position one hundred and one ». C’est très bon. La trouvaille est bonne et la mise en œuvre fort divertissante. Il ne s’agit bien sûr pas d’une pièce majeure, mais c’est un contrepoint humoristique qui a tout à fait sa place dans ce genre de gala.
Le Souffle de l’Esprit, de Jiri Bubenicek, avec Jiri et Otto Bubenicek et Roberto Bolle
Retour à un morceau de danse pure, très fluide. Non seulement les deux frères sont excellents danseurs, mais Jiri est aussi très bon chorégraphe. Le moment où les trois danseurs de dos remontent la scène éclairée seulement par trois spots disposés au ras du sol en fonds de scène, face aux spectateurs, simplement en marchant lentement, est de toute beauté. Evidemment, Robie déboule là-dedans comme un chien dans un jeu de quille : tout fou, sûrement plein d’enthousiasme (on le sent moins trop sûr de sa personne tout à coup), mais qui dérange tout sur son passage. Il n’a visiblement pas intégré la gestuelle des deux frères et, un peu trop raide, a toujours une fraction de seconde de retard, quand les deux autres sont parfaitement synchronisés : ce serait parfait si c’était un bis et qu’il se mêlait à la danse par jeu, comme invité qui reconnaît la supériorité de ses hôtes dans leur domaine, à l’improviste (c’était peut-être le cas, me direz-vous, il a peut-être travaillé la pièce au pied levé… mais ce serait traiter l’affaire par-dessus la jambe pour un tel gala). Une pièce qui reprend bien les différents aspects du spectacle, finalement, et qui fait coïncider la soirée anthropologie autour de Robie et celle de la danse avec les friends de Bolle.
Une fort bonne soirée, peut-on conclure, où l’on a bien ri (certes, parfois aux dépends de notre ami qui n’a pas de Bolle). Si l’ordre des pièces n’a pas toujours été judicieux, le choix très éclectique a en revanche permis des découvertes. Peu de répertoire traditionnel (seulement le Lac, en fait), des pas de deux néoclassique, dans des registres très variés (du poignant au comique)… l’endroit de la médaille qui a Roberto pour face : faire venir les gens pour une tête d’affiche, c’est également pourvoir se permettre une programmation de pièces pas très connues qui n’auraient pas forcément attiré beaucoup de public par leur seul titre. Ravie des découvertes que j’y ai faites.
Quant à Roberto – ce nom me fait rire et me rappelle immanquablement Melendili qui se sert de ce prénom et de sa version féminisée (et bien peu féminine) de Roberta comme substitut à Machin et Machine- j’ose espérer qu’il n’est ainsi que pour se retrouver enfant prodigue de retour au bercail. De retour en France, les couvertures de Danser m’ont fait sourire, à titrer « Roberto Bolle superstar ». Rockstar, oui. Je râle et ris, mais si les danseurs pouvaient déclencher un tel enthousiasme en France en dehors des cercles de balletomaniaques…