Apaisante apesanteur

(Pleyel, dimanche 2 octobre, Orchestre de Paris)

 

« L’âme s’apaise là, sévèrement contente »

Palpatine et moi remontons la rue du Faubourg Saint-Honoré pour nous rendre à Pleyel. Au milieu des VIPouilleries de la fashion week, il y a Dalloyau, dont je n’ai toujours pas goûté les chocolats. Avouez que cela ferait un excellent dessert après un très diététique japonais. Chaque bouchée est présentée au-dessus de la vitrine dans un petit écrin ouvert, la description inscrite à l’intérieur du couvercle. Carré d’épices, avec un thé de Noël, j’imagine déjà… carré noir, oui forcément ; éclat craquant moucheté de dorures et fourré aux cacauhètes, oh mon dieu, du peanut butter de luxe ; Pralinas, du praliné, mettez-m’en deux, s’il vous plaît ; pas moins de cent grammes, vous dites, ah, c’est fâcheux, je veux bien un autre éclat craquant alors ; Duja toujours, ce n’est pas de l’alcool au moins, non, bien, vous savez ce que c’est alors, non, bien, donnez-moi en un quand même ; la ganache, non merci, le praliné, c’est autre chose tout de même, mais une ganache Earl Grey, oui, je veux bien me laisser tenter ; puis un à la framboise et un au cédrat pour faire bonne mesure, soyons fous, soyons fruités. Le concert commence dans une vingtaine de minutes mais je commence tout de suite ma récolte, le soleil dans les rues, vous comprenez.    

Je confie les chocolats rescapés à l’ouvreur en espérant que le vestiaire soit aussi climatisé que la salle et l’on s’installe, Palpatine et moi, derrière Christian, Anne et Serendipity. L’ouverture de Los escalvos, un opéra inconnu de Juan Crisostomo de Arriga, lui-même inconnu pour cause de mort précoce, permet de s’éclaircir l’oreille comme d’autres s’éclaircissent la gorge. On s’enfonce dans son fauteuil rouge et les teintes chaudes de l’orchestre : un feu de cheminée jette ses reflets cuivrés dans le bois lustré des instruments à cordes tandis que les vents suscitent au hasard des étincelles de lumière. Doux crépitement.

Entre dans le salon un grand-père dont aurait rêvé Hugo : Menahem Pressler nous raconte le concerto pour piano n° 17 de Mozart. Silence, musique. C’est beau, c’est rond, sans aspérité sans être lisse. Cela rentre par les oreilles, passe dans tous les muscles, parcourt les veines, les tendons, les nerfs, toute la tuyauterie, se diffuse dans tout le corps comme de la morphine. La partition tricote à partir de mes nerfs en pelote : je me détends. Je suis bien. Mon corps s’assoupit, mon attention s’assouplit. Mes paupières deviennent visibles aux musiciens et je voudrais leur crier dans un chuchotement que je m’endors parce qu’ils ne sont pas soporifiques et que je baille parce que je veux continuer à goûter ce repos rebondissant de notes engourdissantes. Le pianiste caresse le piano et l’on ne sait pourquoi mais il ne peut en être autrement, le basson vient soutenir et éveiller le bercement. Menham Pressler est comme ces professeurs à l’autorité naturelle qui n’ont pas besoin d’élever la voix pour se faire entendre ; son jeu nous parle tout bas.

Avant le nocturne de Chopin qui tranche sur le diurne Garrick Ohlsson de l’avant-veille, il nous baigne au Clair de Lune. Debussy comme manière de nous souhaiter une bonne nuit avant de se retirer. La veillée est finie. Entracte.

Histoire de remercier Dieu pour ce divin concerto, la Messe de Sainte-Cécile constitue le second office. C’est grand, le chœur y est mais je n’ai plus la force de soutenir ma cathédrale mentale pour qu’y vienne résonner la sacrée musique de Gounod. Plus assez de nerf pour me tenir au centre de la nef et recevoir des trombes d’échos. Hébétée de béatitude, j’assiste à cette messe de l’autre côté du vitrail, celui qui ne reçoit pas la lumière. Les voix ne me transportent pas, je sais simplement qu’elles sont là, pas loin et que cela doit être beau si seulement cela pouvait être fort.

Pas entièrement convertie, je manque de charité chrétienne en refusant une demande implicite de chocolat à un ninja surgi d’on ne sait où. Je n’allais pas mettre en péril mon expérience nirvanesque par défaut d’échantillonage complet. Palpatine a raison : ce concert et ces chocolats sont deux preuves de l’existence de Dieu. Je n’ai pas jugé bon de préciser que je pensais Mozart plus que Gounod. Jour du Seigneur : même les mots sont bons.

Ne pas se Barber en concert

(Pleyel, vendredi 30 septembre, orchestre de Radio France)

Palpatine voulait aller à Pleyel. Moi, je voulais aller au cinéma, un truc avec des images et une intrigue facile à suivre quand on est fatigué. J’ai ronchonné devant l’affiche, pensant Berg en lisant Bartók, mais la constatation que toutes les séances avaient commencé et un pudding plus tard, j’étais disposée à tendre l’oreille. 

Clic-clac Kodály, voici les Danses de Galánta. Cette fois-ci, j’avais substitué « valses » à « danses » (fatiguée, je vous dis, trois heures trente de cours sur la tuberculose du fondateur du Seuil, c’était tuant). Du coup, j’ai rapidement dû prendre une gomme pour effacer les lustres de mon image mentale et j’en ai profité pour astiquer les parqets marquetés d’un même mouvement. Je ne savais pas trop quoi faire avec mes meringues viennoises, alors j’ai coupé le bas de leurs robes froufroutantes. Déjà mieux. Mais voilà que surgit une danseuse pieds nus au milieu des couples qui s’écartent. Je fais se déchausser tout le monde. J’hésite à faire sortir les militaires, la salle de bal a laissé place à une pièce de Pina Bausch. Ils resteront tout de même, je reconnais maintenant la danseuse aux pieds nus pour être une tzigane. Les archets attaquent, les murs tombent. Danses, danses. 

Précipité, on déménage à New York. Dans un immense studio aux baies vitrées qui donnent sur la nuit décolorée. Le concerto pour piano de Barber, ce sont les volumes de Hopper, la mélancholie en moins. Il fait nuit, forcément, parce qu’on est en retrait du monde mais pas recroquevillé, simplement en décalage, comme dans la brèche où l’on s’installe lorsque l’on veille alors que tout le monde dort – cette brèche nocturne où les choses et les sons prennent un relief particulier, plus nets de n’avoir pas été émoussés par la lumière et le bruit des jours. Glaçons qui s’entrechoquent dans un verre, moments planant comme un goéland, violons nerveux d’être tâtillonnés par les archets : c’est exactement comme ça je me me sens.

Bonjour, comment allez-vous ?
Concerto pour piano de Barber.

Le pianiste est géant. Non seulement, Garrick Ohlsson doit baisser la tête pour passer sous la porte et arbore un sourire de gros ours sympathique comme Laurent, mais en plus bis il secoue Chopin comme une bouteille d’Orangina. Ses doigts retardent les notes, sans les étirer, mettent le spectateur en suspens, retiennent les notes puis les précipitent en une danse fringante. Cela me fait penser à Myriam Ould-Braham dans Suite en blanc ou à Mathilde Froustey dans le Grand pas classique d’Auber : des échappés ou des relevés d’acier, tenus jusqu’à la limite extrême de l’amusicalité et enchaînés avec agilité juste à temps, juste sur le temps, avec une maîtrise confinant à l’insolence. Quand la technique a la classe, et qu’elle se joue d’elle-même, voilà : le phrasé, me dit Klari. Rudement bien ponctué, les points sont sur les hiiiiii.

Le concerto pour orchestre de Bartók est juste toqué comme il faut, avec la baguette coton-tige de la percussion qui joue à pigeon-vole. Pour ne pas trop avoir l’impression d’assister à un match de tennis entre alto et violon, je délaisse un peu l’altiste solo au catogan, que je verrais bien en costume d’époque XVIIIe, pour la beauté médiévale de la violoniste que j’avais déjà tant apprécié la dernière fois. À mon regret d’être trop impair pour ne pas la voir de face, succède la satisfaction de pouvoir la regarder sans en commettre. Pas de risque de la dévisager de dos, je ne vois pas même le début de la tresse qui ceint asymétriquement sa tête, ainsi que je le découvrirai au salut où j’essayerai de lui envoyer mon plus beau sourire de remerciement comme si c’était une gerbe de fleurs. Le coude bien relevé comme une danseuse de flamenco, l’archet met en tension toute sa colonne vertebrale jusqu’à la nuque, que la musique agite et renforce tout à la fois. Avec elle, je peux voir la musique incarnée comme si c’était de la danse tandis que son voisin avachi me semble en contradiction totale avec ce que j’entends, comme un coup de klaxon en plein concerto.

Je pourrais dire de ce concert que j’en suis ressortie toute retournée mais cette image aurait été honteusement suggérée par la calzone que je me suis enfilée ensuite (après le pudding, donc) en compagnie de Klari, Serendipity et Palpatine. Fameux.

Phèdre, Psyché, Pffff

La Phèdre de Lifar a dû, j’imagine, être un choc esthétique à l’époque de sa création. Samedi, il n’en restait qu’un choc visuel. Les costumes ne peuvent qu’être une incitation à exercer sa langue de vipère. Il ne faut pas me donner une telle occasion, il ne faut pas. J’ai passé quarante minutes à imaginer les comparaisons les plus idiotes et colorées possibles. Oenone est aussi Violet que la camarade de Charlie à la chocolaterie et assortie à un Thésée de péplum. Aricie est un petit poney rose. Elle joue avec Hippolyte, un Action Man radioactif (promis, je n’appellerai plus jamais Paquette Pâquerette si cela doit le transformer en géant vert). La mini toge verte des compagnons me fait d’abord penser à des Supermen au rabais avant que les académiques oranges ne me révèlent leur véritable nature : ce sont les bonshommes qu’on lance sur les vitres et qui les dégringolent en culbutant sur leurs mains et pieds gluants. Le seul costume digne de ce nom est celui de Phèdre, le rouge et le noir rehaussés de gris étincelant. C’est aussi celui qu’il faudrait supprimer en priorité : outre que la servante violette ne ferait plus grincer des dents dès qu’elle s’approche de sa maîtresse rouge, l’homogénéité obtenue parviendrait peut-être à faire reverser le kitsch dans le stylisé.

Car la pièce est bien adaptée de Cocteau et l’on retrouve dans la chorégraphie la marque de ses dessins : à grands traits, un effet de façade, pardon, de fronton. J’ai parfois un peu de mal avec cette esthétique de bas-relief antiquisante (on la retrouve chez les nymphes dans le Faune, par exemple) mais force est de reconnaître que la pose est frappante : elle fige le mouvement mais donne aussi un coup à l’imagination. Vaste frise grecques, ce sont les brusques arabesques plongées suivies de déboulés mains en l’air d’Oenone dans une diagonale à la fée Carabosse ; les battements de main qu’Aricie fait de tout cœur en petits sautés sur pointe ; les sauts en double attitude (ça mériterait un petit tour dans le dico de la danse) de Thésée ; les bras angulaires de Phèdre en vestale cambrée.

La prétention de Marie-Agnès Gillot à se considérer comme une grande tragédienne me fait un peu rire : si elle est brillante dans ce rôle, c’est tout simplement qu’elle est sculpturale. Une sculpture en mouvement. Tragédienne, elle n’en serait que l’archétype, à l’opposé d’une Berma au jeu plus marquant parce que moins marqué (une Aurélie Dupont par exemple). De fait, Alice Renavand a davantage de répondant en Oenone, personnage plus marquant que la délicieuse Myriam Ould-Braham qu’on aimerait bien voir distribuée dans des rôles plus consistants, que Karl Paquette à qui sied pourtant le maquillage à la grecque ou même que Nicolas Leriche en guerrier las.

Au final reste une impression de médiocrité d’autant plus décevante que la narration de la pièce est fort bien menée, avec son théâtre dans le théâtre, qui met en scène les passages censés se dérouler en coulissés et que la bienséance exigeait de faire connaître par des discours rapportés. Un film d’archive en noir et blanc m’aurait suffit.

 

Il y a fort à parier que Psyché vieillira aussi mal, si ce n’est plus, que Phèdre. Elle est elle aussi construite sur un entre-deux qui n’est plus celui du stylisé et de la parodie mais de l’humour et du lyrisme. Autant il y a naturellement ambiguité entre trait essentiel et trait forcé, autant le trait d’humour s’émousse au contact de l’émotion poétique du sujet intime. Le lyrisme veut être pris au sérieux et s’il est ainsi une cible rêvée de moquerie, il ne peut coexister de plein-pied avec l’humour. Alors forcément, le spectateur qui sourit aux animaux en académique chair, aux nuées farfelues et fanfreluches, aux vagues froufroutantes, aux femmes-fleurs (plus fort que la clochette, le rhododendron bleu !), aux hommes-insectes et aux deux soeurs de Cendrillon relookées en punkettes ne peut manquer de réprimer un baîllement devant le pas de deux d’Eros et Psyché aux yeux symboliquement bandés (parce qu’il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas voir mais on évolue difficilement à l’aveuglette à deux). Inversement, à celui qui se laisse aller au lyrisme de leur danse simple sans la trouver niaise, les touches d’humour paraîtront incongrues. Je suis passée par l’une et l’autre phase ; après avoir souri avec indulgence aux facéties de Ratmansky, j’ai observé la danse charmante, pleine de petits pas et de changements d’épaulements, de Dorothée Gilbert, seul moyen de se sauver de l’ennui. Car il n’y a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent et si la pièce remporte les suffrages de la pièce, c’est qu’elle bénéficie du contraste avec Phèdre où l’on danse peu. 

Le seul point vraiment positif, outre une formidable Amadine Albisson en Vénus furieuse (raccord avec Faust : l’Opéra a eu un rabais sur le tissu doré ou quoi ?), c’est que pour la première fois de ma vie j’ai vraiment apprécié Mathieu Ganio. D’une part, à l’amphi, si sa tête ne me revient pas, c’est seulement parce que je suis trop haut et trop myope pour la voir ; d’autre part, le rôle d’Eros lui va comme un gant, étant trop épris de sa personne  pour risquer de verser dans la parodie par excès d’autodérision et pour ne pas être un brin comique malgré lui tout. Ni Apollon musagète ni Amour de Neumeier (le combishort à une seule bretelle me fait un peu penser à la salopette jaune), il fait preuve d’un humour jamais parodique, parfaitement ironique : on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon. Exception faite de cette étoile, l’humour est en danse un registre plus casse-gueule que l’ironie appuée jusqu’à la parodie. La musique de César Frank n’aide en rien, qui n’introduit pas le moindre air de bonhommie là-dedans. Le lyrisme se prend au sérieux, vous disais-je.   

Résultat de la soirée : nul. On ne peut pas franchement dire que « c’était nul » mais il n’empêche : il n’en ressort rien. Sentiment de gâchis et mal au dos. On a beau dire, le prix des places à l’amphi est vraiment bon marché… si on l’imagine inclure une séance de kiné. Business model à développer : des stands de massage aux quatrièmes loges à l’entracte. 

Faust pas

Gounod m’est quasiment inconnu, je n’ai pas lu Goethe, ni même le synopsis de l’opéra avant de me rendre à la générale de Faust, sur l’invitation du Petit rat. Je ne m’attendais à rien et pourtant j’ai été surprise.

 

Par les décors, d’abord. Car, par Merlin, Johan Engels est diabolique ! Le rideau de scène en impose, avec la mort qui trône au sommet d’une planète plombée et pourtant lunaire. L’éclairage en filigrane l’y laisse, lors même qu’apparaît une immense bibliothèque, qui tient tout à la fois du temple et de la cale, et dont le tour penché et la forme circulaire me fait penser au Colisée. Les lumières de Fabrice Kebbour y font merveille ; l’éclairage blanc, aveuglant, à contre-jour, fait des livres des ombres menaçantes ; l’enfer des bibliothèques est bien plus diabolique que les forges rougeoyantes de Satan. J’adore. J’adore moins la décoration d’intérieur, baroque d’accumulation à défaut de style : babioles sphériques en tout genre, grand Christ sur sa croix dorée et… un rhinocéros qui porte l’obélisque de la Concorde sur son dos. Et là, on touche à la mise en scène un brin…

Show (off). La mise en scène, comment dire, est un peu… too much. On sent que Jean-Louis Martinoty s’est fait plaisir. Il hésitait entre le squelette christique couronné de roses sans épines et décoré de bandelettes dans La Fille mal gardée, la croix-pont levis et l’apparition cristallisée en 3D avec rayons laser dans un morceau de quartz : il a pris les trois. Du coup, la carapace dorée qui transforme Faust en Power Ranger et que Roberto Alagna arrache comme s’il avait un torse de chippendale ne dénote presque pas dans cet opéra son et lumières. Le ténor un peu plus, qui fait manifestement son show. Ce doit être le prénom qui veut ça : Roberto Alagna est à la musique ce que Roberto Bolle est à la danse – une icône sur laquelle je préfère ne pas cliquer. Je lui préfère de loin Méphistophélès, Paul Gay, aux allures de dandy-boxeur et à la voix basse comme sortant des entrailles de la terre ; et Marguerite, Inva Mula, qui me rend toute chose lorsque, assise au lavoir (où il y a vraiment de l’eau), elle chante doucement une histoire de roi nordique, sans grand intérêt mais claire et cristalline.

Dernière surprise, et non des moindres : l’intrigue qui s’éloigne rapidement de l’hybris du savant. Le savoir livresque n’a pas suffi à étancher la soif de connaissance de Faust qui passe un pacte avec le diable pour enfin connaître la vie. Seulement dans la mise en scène, la connaissance des plaisirs a perdu tout lien avec le plaisir de la connaissance. On dirait que, de dépit, Faust a renoncé a rien savoir et se vautre dans l’enfer de la médiocrité : dans une bacchanale de kermesse, les muses sont devenues des miss, écharpes au corps, et Roberto à l’agneau au veau d’or se prélasse au milieu d’elles comme un chanteur dans un clip de R’n’B. La mise en scène tire vers le bas (c’est là qu’est l’enfer, me direz-vous), si bien que l’histoire d’amour de Faust et Marguerite tombe comme un cheveu sur la soupe. La structure de l’opéra suggérerait plutôt que Faust ne renonce pas à la connaissance (et l’autre en est un sujet de choix), seulement aux moyens qu’il avait jusque là employés. De fait, Méphistophélès n’est pas tant diabolique parce qu’il pousse Faust au vice (les filles et les chansons à boire sont bien mignonnes) mais parce qu’il le pousse vers la vertu par le vice. Il est bien plus pervers de perdre la pure Marguerite (merci pour le drap taché de rouge, c’est bon, on a compris) que de folâtrer avec une démone de la luxure. Ce vice l’est si peu d’ailleurs qu’il est besoin que Marguerite tue son enfant pour qu’elle soit vraiment maudite et Faust, damné. La scène de la cathédrale a ainsi quelque grandeur, en grande partie grâce à J. Engels qui clôt la bibliothèque-nef par deux grandes grilles blanches. L’image est saisissante : Marguerite enfermée dehors, méprisée par l’espèce de pape d’autant plus terrible qu’il n’est pas sans rappeler le démon de papier crépon de la kermesse. Que le ridicule ait tant de pouvoir…

La fin est un peu précipitée – cascade désynchronisée d’effets encore à régler, générale oblige – et la vertu triomphe : Christ est ressuscité et Marguerite, plus ou moins sanctifiée – il aura juste fallu mourir pour cela (précisément ce à quoi s’est refusé Faust).

Au final, le parti pris de la mise en scène tient tout entier dans la sculpture en néon de Jean-Michel Alberola, qui reste allumée pendant toute la pièce. On pourrait gloser sur ce « rien » qui fait toute la tête de mort, comme la désinvolture de Méphistophélès fait tout le mal, mais devant l’enseigne de ce néon rose, on se dit surtout que la vanité a supplanté les vanités.

Et les photographes d’entériner par une salve obturateurs lorsque Méphistophélès dépose un écrin pour séduire Marguerite : je ne sais pas si les bijoux attirent les pies mais les photographes, assurément. De toutes façons, ils shootent tout ce qui bouge, dans un cliquetis continu comme en font de trop gros et trop nombreux bijoux, à tel point qu’on se demande s’ils n’appuient pas sur la gâchette seulement parce qu’ils ont entendu celle du voisin et s’empressent de prendre ce qu’ils n’ont pas vu. Vanité, c’est entendu.  

Rentrée à l’OdP

Chemise blanche, veste noire, jupe à carreaux tache intégrée et grandes chaussettes grises, c’est en écolière faussement modèle que je fais ma rentrée… à la fac et à l’Orchestre de Paris. Distribution des manuels : les programmes sont passés d’un grammage épais à un papier glacé, nos cartables n’en seront que plus légers. Il y a des nouveaux et j’ai déjà repéré une potentielle nouvelle copine : la contrebassiste juste derrière le poète de Spitzweg, qui n’y va pas de main morte. Quand elle pince les cordes en alternance des deux mains, coudes relevés, avant-bras qui décollent, elle a le même entrain sérieux que si elle jouait du tambour. Mais laissons-là à son pupitre pour le moment, j’ai une copie à rendre.

Scherzo fantastique. Fantastique, on a dit, pas merveilleux. Il y a bien quelques pas dans la neige, quelques tintements scintillants mais, pour l’essentiel, les spirales de notes ressemblent plus à des tourbillons qu’à des volutes. Cela fait whirl-whirl, jusqu’à bourdonner, histoire d’établir un écho entre Stravinski et Rimski-Korsakov en sautant par-dessus Lalo.

Concerto pour violoncelle enmineur. J’ai le regard qui a un peu erré (Marc Coppey nous a fait une tête de Droopy) mais pas l’oreille. J’adore le premier mouvement : pas de questions-réponses entre l’orchestre et le violoncelliste et pourtant, le premier intervient régulièrement sans pour autant couper la parole au second. Ils ne jouent pas vraiment ensemble (pas en simultané) ni l’un contre l’autre (les grands traits brefs ne raillent pas la partition solo). L’orchestre ne souligne rien, si ce n’est que le violoncelle continue son chemin. Chaque ploum qui se met en travers semble marquer une marche supplémentaire comme les anniversaires sanctionnent une année écoulée. Le deuxième mouvement est celui d’une maturité non décrépie, seulement sereine, comme hors du temps. Comme si la musique avait été un projecteur, c’est à ce moment-là que je remarque en haut tout au fond de l’arrière-scène un vieux couple paisible, la tête rêveuse de la dame blanche sur la chemise blanche de l’homme, bien droit devant le mur blanc. La poursuite de mon imagination s’est immobilisée sur ce couple lumineux. Puis le troisième mouvement s’est enclenché et elle s’est éteinte. L’agitation de la vie a repris ses droits ; le soliste a replongé dans la foule de l’orchestre.

Shéhérazade, suite symphonique luxueuse comme un palais des mille et une nuits. Opulente mais pas langoureuse ; on se souvient soudain que c’est pour échapper à la mort que la fille du grand vizir raconte toutes ses histoires. Aurais-je lu le programme à l’entracte que j’aurais su qu’il était question de mer, de bateau, de fête et de naufrage mais comme je ne connais pas le prince Kalender ni l’histoire de Sindbad, je n’aurais pas été beaucoup plus avancée. Je me suis contentée à écouter le conte, cette voix qui vous tient éveillé la nuit par son ton de confidence, et m’en suis portée comme un charme, évidemment.

Avec Palpatine, as usual.