Harry Potter and the Deathly Hallows

   

A ne pas lire si vous n’avez pas vous même dévoré le dernier tome, à moins que vous ne soyez comme Anouilh pour qui le véritable suspens est de connaître le dénouement. Si vous attendez la version française ou que vous avez fait le dur choix de lectures plus scholastiques, vous pouvez lire ici, un article sans spoiler, écrit de main de maître – et à plus d’un titre, l’auteur est avocat.

 

  Et un beau locket, un ! 
 

    La version adulte, parce que je la trouvais beaucoup plus classe que les illustrations de l’édition anglaise pour mômes. Ce qui fait que j’ai une extraordinaire hétérogénéité dans les éditions de la saga : les trois premiers tomes sont des folio de la première heure, semblable à tout folio pour enfant, sans la police-éclair (sauf pour le premier tome que j’ai eu la mauvaise idée de prêter à ma grand-mère peu soigneuse et qui a préféré me le racheter plutôt que je fasse une syncope devant la couverture pliée et les coins cornés – manque de change, le changement de police a empêché que l’échange soit subreptice) ; les quatrième et cinquième sont en grand format, le sixième, l’édition américaine (doublé de la française pour ma mère) et le dernier, donc, a version anglaise et adulte. Une autre fois, je vous raconterai ma passion pour la comparaison des éditions.

 Avant toute tentative de mise en ordre, réactions d’une pottermaniaque après la lecture de l’ultime tome :
Ahhhhh c’était génial !!!
L’épilogue est gorissime

Ces réactions quasi-épidermiques exprimées, nous pouvons passer aux considérations sinon réfléchies, du moins développées (j’allais dire construite, mais laissons les plans à la rentrée).

        Le feu d’artifice (encore – celui des Weasley dans le cinquième film n’était pas mal)

Dernier tome annoncé de longue date, Harry Potter and the Deathly Hallows se devait d’être le bouquet de ce grand feu de joie – voire de fanatisme. Comme chaque tome pris individuellement, la série entière est construite sur une immense gradation : la mise en place de l’univers, les détails louches, les complications, le drame et le dénouement accompagné de ses explications (Miss Rowling a bien appris son schéma – exposition, péripétie, dénouement, situation finale). Mais le 7ème, c’est du concentré – Bruce Willis lui-même en perdrait le souffle. Guet-apens et innombrables sorties in extremis : l’accumulation pourrait virer au too much mais l’univers magique ayant été mis en place six pavés durant, le colis final passe comme une lettre à la poste. Les subtilités des baguettes, l’infiltration du ministère,  l’évasion de Gringotts en dragon (« They might have noticed »), les « il est mort, mais non, il est vivant », le nouveau passage secret entre Hogwarts et Hogsmead, tout s’enchaîne – et nous avec : il devient difficile de lâcher le bouquin.

 

            C’est ça, genre

Blending of genres. La Miss Rowling a la formule magique et rien à envier à Hermione quant à la compulsion minutieuse de sa bibliothèque : les ingrédients des meilleures recettes s’y retrouvent.

            Le film d’horreur, bien sûr, ugly creatures à l’appui. Et les géants qui démolissent les tours du château lors de la grande bataille de Hogwarts ont un petit air de King Kong.

            Film d’action, il va sans dire. Le genre d’histoire impossible à résumer tant il y a de péripéties.

            Le genre historique – roman de guerre. Ne trouvez-vous pas que les Death Eaters feraient de bons SS ? Magic is might… Les Juifs sont devenus des Mudbloods et les Aryens des sorciers au sang (et à la connerie) pure, mais l’obsession maladive de la pureté de la race est bien là et conduit également à es convocations, arrestations autoritaires, tortures… La fascination du pouvoir et le « for the better good » vient justifier la  politique du pire (ou le pire de la politique). Il n’y a pas jusqu’aux runes du livre d’Hermione qui ne suggèrent une réécriture de cette  époque noire.

Le roman policier, surtout, a toujours beaucoup de succès. Surtout quand on remplace une Miss Marple vieillissante (ou un Hercule Poirot grisonnant) par une Hermione pimpante. Les explications s’enchaînent – pas toujours immédiates dans leur déroulement ou leur entendement, mais on admire qu’au final, tout se tienne. Le trio cherche, tâtonne, se trompe une fois ou deux (mais pas plus, il ne reste déjà plus que 400 pages pour dénouer sept ans d’intrigue – un bon instinct est d’un grand secours dans ces cas-là), et ils trouvent. Avec un gentil mot d’explication au lecteur sous imperio – quitte à faire tourner Harry et Tom Riddle (bah oui, He Who Must Not Be Named est maintenant désigné par son petit nom, on vous disait bien que c’était la fin <des haricots>, mes petits chéris) face à face pendant un quart d’heure si besoin est. Voldemort est quand même bien gentil, il laisse à Harry le temps de bien exposer la situation avant d’essayer de le tuer.

Et là on touche au genre romantico-mélodramatique.

Ode de rose

    Parce qu’au fond, tout le monde est plein de bons sentiments. Il n’y a guère qu’Inci pour ne pas avoir douté qu’Harry s’en sortirait sain et sauf, elle a raison : les livres pour enfants finissent toujours bien. Mais justement, à bien finir dans l’allégresse, il ne finit pas si bien. J’étais persuadée qu’Harry mourrait en tuant Voldemort. Et là, il le kill. Après cela, c’eut été vraiment fini. Mais tout le monde est plein de bons sentiments, à commencer par feu le méchant Snape, qui n’est pas un sadique mais un homme de grand courage. Je soupçonnais le double jeu au profit des « bons », mais absolument pas son engouement pour Lily. Le morveux de Draco a toujours, grâce eu martyr de Dumbledore, une âme pure et ses parents sont en réinsertion sociale, parce que ce sont des parents avant tout. Le méchant  est zigouillé, le héros est survivant. Ce n’est même pas un assassin : il n’a pas a proprement parler tué Voldemort, aucun avada kedavra n’est venu souiller ses lèvres pures – Voldemort a en quelque sorte été anéanti par sa volonté destructrice.
    Tout le monde il est beau, il est gentil ; les tables des quatre maisons se mélangent à la fin et accueillent pêle-mêle toutes les créatures vivantes. La fin des clans, de la xénophobie et de racisme. Avènement de l’amour du prochain. Amen. Respect de l’autre avant toute chose, c’est la morale de l‘histoire : voyez le cas Kreacher.
    La propagande moraliste pro-elfe de maison et anti-esclavage pourrait être pardonnée si on ne venait pas nous ajouter cet épilogue gorissime, avec tout plein de morveux partout. Ron et Hermione, Harry et Ginny, ok, mais on n’avait nul besoin d’aller au-delà de la tour Gryffondor. La conclusion du dernier chapitre aura
it fait une dernière phrase parfaite, à contrepied de toute tentative de grandiloquence ou de moralisation. A la place de quoi: « All was well »… that ended well? Minute, c’était censé être une aventure de sorciers, pas un conte de fée – le conte de fée, c’est le destin de la romancière. Pourquoi une fin si gnian-gnian ? est-ce pour clôturer définitivement la saga, fini les émotions de Harry qui en a eu « enough for a lifetime » ? ou pour se laisser la possibilité de narrer les aventures de la progéniture, genre, on est repartis pour un tour, par ici les droits d’auteur ? (si elle fait ça, je la tue (métaphoriquement, of course), et elle tue par la même occasion le mythe potterien.)

 

            Vers le mélodramatique : oraison funèbre.

Ce qui sauve du dégoulinage de bons sentiments, c’est qu’elle tue ses personnages à la pelle. Ils tombent comme des mouches. Heureusement, nous avons eu un sevrage en douceur. Rien de létal dans les trois premiers tomes, juste un orphelin : la mort est lointaine, une réalité sue mais non pas vécue. Au quatrième, première victime, mais finalement, Diggory, on s’en foutait un peu, (mal) tombé là comme un cheveu sur la soupe. Pas de grande émotion, mais bon, l’innocence persécutée, ça marque. Au cinquième, les choses se corsent, puisque la bonne étoile d’Harry s’éteint en la personne de Sirius. Sa mort annonce celle de toute la constellation – l’aurore, c’est dangereux  (Si vous avez une réminiscence d’une brillante phrase de Legolas, je me sentirai moins seule). Au sixième, le monde s’écroule : Dumbledore tombe de haut, Harry et nous avec. Les vannes sont ouvertes – faites feu ! Mad-Eye, Dobby, Tonk, Lupin, Fred, Snape et de nombreux autres encore. De quoi adoucir un peu ces pertes cependant : Mad-Eye était un aurore, Dobby se fait remplacer par Kreacher (et puis, il est enterré avec ses chaussettes), Lupin est  un loup-garou potentiellement dangereux (j’ai plus de mal pour Tonk, d’autant plus qu’ils lui ont donné une touche vraiment sympa dans le cinquième film) Fred a une copie certifiée conforme et le couple Tonk-Lupin laisse un neveu à Harry, histoire qu’il endosse le rôle et rappelle à sa mémoire Sirius.

 

            Des effets rétroactifs du cinéma sur la littérature [ou comment faire croire que l’on étudie les pistes du cours de philo sur Walter Benjamin]

L’écriture de J.K. Rowling est presque cinématographique. Est-ce l’influence des adaptations ? Les descriptions sont très visuelles et surtout les dialogues sont de plus en plus présents – avec les cris en majuscules, on entendrait presque les modulations de volume (ces cris silencieux sont d’ailleurs éprouvants. En plus, ils attirent l’œil et poussent à sauter des lignes – c’est maaaaal). L’influence filmique se retrouve   jusque dans la petite phrase désinvolte qui tue tandis qu’on se massacre ; et la fin hollywoodienne (Manquerait plus qu’ils finissent avec un cœur qui mange l’écran). Petit cadeau à la Warner Bro ? Les réalisateurs d’effets spéciaux vont s’en donner à cœur joie !

 

            Et puis en vrac, parce que j’en ai assez d’écrire, et que vous en avez certainement encore plus de me lire :

         j’ai bien aimé les français qui en prennent pour leur grade via l’accent de Fleur

         j’ai a-do-ré Ron et son humour !

         Curieux la récurrence du chiffre 7 : 7 tomes, années, horcruxes, Harry quand on le transfère…mais bon, en additionnant le tout, multipliant par le nombre de plumes du Phénix et retranchant le nombre de frères Weaslay, on obtient l’âge du capitaine – à côté, la divination est une science exacte et Trelawney une scientifique émérite.

 

La pottermaniaque a fini l’exposition de ses tocs. A bientôt !

Les Faux-Monnayeurs, de Gide

[Attention, souris tordue]

 

            Les Faux- Monnayeurs est trop pensé. En se faisant critique de lui-même, il se détruit. Gide ne joue pas avec le lecteur d’une connivence sur l’illusion romanesque, comme peut le faire Laclos en jouant sur le paratexte de ses dangereuses lettres. L’illusion est ici démontée : les roues dent(el)ées sont mises à plat, les chiffres sont datés et les aiguilles que leur désarroi. L’horloge n’est pas remontée, les pièces gisent épars sans pour autant être mises en pièces. En scène tout au plus. On est dérouté, sans être mis sur une autre voie, comme dans les Géorgiques de Claude Simon (ce qui ne veut pas dire que je ne m’y perde pas !).
            Gide ne dénonce pas l’illusion, il lui en substitue une autre : celle que l’on peut continuer tout en se sachant dans l‘illusion et en prétendant parallèlement que cette illusion est une impasse. On ne peut pas dire ‘ne jamais dire jamais’, mais le romancier l’écrit. D’où les accros entre les Faux-Monnayeurs d’Edouard, le romancier interne au roman qui se propose précisément d’écrire les Faux-Monnayeurs, qui n’est pas le pavé que vous tenez dans les mains, et les Faux-Monnayeurs de Gide, qui sont en train de nous fournir matière à nous triturer (probablement inutilement) le cerveau (ou ce qu’il en reste après les concours blancs). Le mur de l’impasse n’est pas escaladé, mais il n’est pas non plus considéré comme un obstacle. Plutôt le mur devient la destination de l’impasse.
            Trop pensé. Je vous le disais. Le lecteur doit sans cesse se préoccuper de démonter le démontage opéré par Edouard (le romancier qui fait écho à l’auteur). D’accord, Gide se moque éperdument du lecteur paresseux. Il en veut d’autres, fort bien. Mais on peut se demander si la question ne devrait être déplacée de la paresse au plaisir. Jusqu’à quel point la critique de la critique est œuvre à part entière ?

             La mise en abyme n’est pas ici vraiment vertigineuse. Retorse, sans aucun doute, mais pas de vertige bachique *dixisset unserer liebe Hegel*. L’abyme s’est abimé en un abîme [Aleks, doutes-tu encore que je te batte dans les jeux de mots pourris ?], creusé toujours plus avant dans le récit.

             Et pourtant, ce n’est pas un fourre-tout, sommaire des grands thèmes remâchés. Des instantanés font subrepticement sentir un parfum de vérité. Des instants réfléchis par l’écriture sans que l’auteur soit venu réfléchir sur (la réflexion de) l’écriture – la concordance entre Edouard et Olivier, par exemple. Elle vient comme un point de vérité qui éclaire le lecteur sur la sourde irritation qui l’agaçait envers les deux personnages.

           Curieux. Pensé plutôt que donnant à penser. Ou alors penser comme démontage du démontage de l’illusion romanesque. Ce qui vous donne l’envie de la rétablir dare-dare pour pouvoir lire en paix.

 

           Gide est un escroc formidablement habile : le roman lui-même est une fausse pièce de monnaie. La fausse pièce n’a de valeur tant qu’on ignore qu’elle est fausse ou que le sachant, on tente de la refiler à quelque commerçant qui voudra bien n’y voir que du feu et l’encaisser. Une fois frottée et réduite à un bout de verre, la pièce n’est plus qu’un objet de curiosité. Le roman est une fausse pièce de monnaie. Rendu transparent, on ne sait plus seulement les artifices, on les voit, il y a comme une anomalie dans le/a pa(ysa)ge. Et de même que la pièce réduite à un bout de verre ne peut plus être écoulée, le roman décortiqué ne peut pas vraiment être digéré, il y a quelque chose qui ne passe pas. Non parce qu’on sait les artifices, on les connaît toujours, on accepte simplement de s’illusionner. L’étude de l’artifice peut être passionnante, on n’expliquerait pas autrement l’intérêt parfois maniaque porté à la genèse d’une œuvre, au journal ou à la correspondance de l’auteur. Mais l’intérêt est précisément que ces sources sont étrangères à l’œuvre et tendent à la questionner sinon à l’expliquer. Doivent-elles elles-mêmes devenir œuvre ? Je suis sûrement une stupide lectrice qui ne comprend rien au coulis essentiel du genre romanesque, mais je trouve qu’exposer, poser et décortiquer l’artifice ôte un certain charme. [ahhh vocabulaire auratique potentiellement dangereux et démodé- HK1 private joke]

Chroniques d’une mort consumée

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          Aleks avait raison, c’était trop pessimiste pour être vrai. Mais une bonne générale est toujours une générale foireuse. (Ca vaut aussi pour les minutes qui précédent… je ne me suis jamais autant cassé la figure à Montansier que dans le laps de délibération entre deux niveaux). Et comme je sors d’une sublime dissertation sur l’eau en Afrique (« paradoxes et enjeux », où voyez-vous des paradoxes. Les problèmes ne sont pas des paradoxes…), je m’en vais joyeusement vous assassiner de ces chroniques d’une mort consumée.

… venez passer quelques temps dans la peau d’une morte

Le rite funéraire

              On ne devient pas une morte immatérielle par l’opération du Saint-Esprit. Tout d’abord, on se retrouve au studio pour s’échauffer, comme d’habitude. Sauf qu’habituellement, nous n’avons pas de danseur de l’opéra devant nous. Avant toute chose, il faut que j’explique aux non balletomanes les effets que provoque l’étiquette « opéra de paris ». C’est un peu comme l’auréole du Saint. Un label à se damner. Qui vous met en transe et vous fait crier au miracle. Mais la vraie révélation, c’est que l’apparition est une personne en chair et en os, à qui vous pouvez même parler. Alors instinctivement, on s’est toute regroupées sur la barre opposée avant que Sophie ne nous suggère de rétablir l’équilibre histoire de ne pas se tuer à coup de grands battements. Je me retrouve donc derrière notre saint tout de sansha vêtu. Je n’en dirais pas plus car une simple comparaison épidermique en dira beaucoup plus : alors que nous virons dans des teintes allant du rouge au cramoisi, il est blanc comme le lys qu’il déposera tout à l’heure sur la tombe de Giselle.

Le cimetière

           Nous entrons au théâtre, avec l’atmosphère si particulière des loges, leur bordel inné et l’odeur de la laque qui vous asphyxie joyeusement. On se coiffe, on mange, on se maquille, tout en même temps… t’as pas du blanc ?à qui ai-je prêté mon ombre à paupière marron ? Eh ! Mon eye liner vient de tomber et de rouler derrière la poubelle. Un flash : pas de chance, on a attrapé votre reflet dans la glace. Moi, je me fais toujours photographier quand je mange. D’aucuns diront que c’est parce que je mange tout le temps. Ils n’ont pas tout à fait tort. On a tous des looks pas possibles. J’ai atteint mon summum le dimanche, jogging danza assez remonté pour laisser transparaître le collant blanc filé, haut rayé rose et blanc à encolure bateau qui coule désespérément sur mes épaules, foulard orange, et la finale touch… la coiffure avec la couronne. Et c’est comme ça que j’ai accompagné la maman de mon professeur à la gare pour aller chercher un danseur coincé dans le train (on en revient toujours à la Sncf ). Ca faisait très la reine d’Angleterre dans ses années déjantées en visite à Fontenay le Fleury.
            Re-loge. Il y a un truc magique avec les épingles à chignon, quand y’en a encore, y’en a plus. Trouver un filet dont le trou soit plus petit que la surface du chignon relève de la gageure. Tant que nous sommes dans la coiffure, je remercie Sophie de m’avoir coiffé, parce que dans la catégorie je me renverse la moitié de la bombe de laque sur la tête sans arriver à un résultat autre qu’un besoin imminent de shampooing, je suis championne.

            Fatalement, après tout ça, il faut vous rééchauffer. Direction la salle commune, juste à côté de la scène. Je suis encore en rhingrave et en chauffe, mais vous pouvez déjà croiser un duc emplumé, une petite qui a décidé qu’il était l’heure de dîner et une paysanne en train de lacer ses chaussons sur le canapé en cuir destroy mais incroyablement accueillant. Haro sur la barre d’escalier pour s’échauffer. Juste jeter un coup d’œil derrière soi avant de lever les jambes pour éviter d’éborgner une dame de la cour, laisser passer la maman qui vient s’enquérir de la couleur de rouge à lèvre dont il faut peinturlurer la petite, le tout sans foutre un coup dans la barre dont la belle peinture bleue déteint sur le chausson agresseur (mais en même temps, il n’y a que moi pour être douée à ce point et casser le matériel). On se force les arabesques ce qui pour tout autre que la personne concernée ressemble vaguement à une torture moyenâgeuse. Seule la danseuse peut comprendre la justesse du « Ca fait du biiiien » quand on lui aplati le dos alors qu’elle se trouve en grand écart. A part ça, nous ne sommes pas maso.

           Fatalement, on finit par être en retard. C’est un autre grand principe de la représentation : quelque soit l’heure à laquelle on arrive et l’on se prépare, la dernière demi-heure ressemble à un sprint.

La tombe se creuse

           Le rideau s’ouvre. Les coulisses se vident. Je ne danse qu’au deuxième acte. Après un petit grésillement, les haut-parleurs retransmettent la musique dans les loges. Drôle d’effet de décalage. On suit pour ainsi dire pas à pas le déroulement du spectacle et l’on est en même temps très loin. (Le premier qui me regarde d’un air condescendant en me disant que c’est le principe de la télé, je le fais danser jusqu’à épuisement.) Vient le premier changement rapide où nous aidons deux futures Willis à passer de la paysanne folklorique à la paysanne demi-soliste. Toujours dans ces moments que les attaches ne s’enclenchent pas, que les rubans glissent, mais on finit presque toujours à temps. Lorsque survient le couac qui va entraîner la fièvre du samedi soir (Après Quraysh courage, je ne crains plus les jeux de mots pourris) : une plage du CD qui saute. Pas de régisseur plateau, donc pas de rattrapage in extremis. Les variations sautent, les larmes coulent. On passera sur cet épisode pour ne garder en mémoire que la représentation du dimanche. Faut savoir faire du tri sélectif.

Entracte. Je vais déposer mes fleurs au ras du rideau de la deuxième coulisse, je marque ma variation pour m’apercevoir qu’au bout de trois pas je suis essoufflée. Préparation de mouchoirs et bouteilles d’eau côté cour. Les Willis affluent et se glissent entre les pans de velours noir. Ambiance saturée de chaleur. La tombe est visible, la musique est relancée. Les mesures approchent… et que je te rentre les moustaches, et que je te tire les bretelles de la tunique, re les moustaches, le bas de la tunique, le haut, maintenant défroisser le tulle… la mesure
s’approche… je me place, au ras du rideau toujours…

Le cercueil

            Cercueil qui ressemble plus à un bocal de poisson rouge, m’enfin passons. De la salle, la scène parait inaccessible, lointaine, tandis qu’en coulisses, la frontière est simplement lumineuse. On rentre en scène comme on plonge, à ceci près que le nouvel élément est la lumière. Autant le trac vous taraude dans les coulisses, autant en scène il laisse place à une espèce de sérénité qui ne peut se décrire qu’avec des expressions mièvres. Nous éviterons donc la fadeur édifiante (oui, l’épreuve de philo est demain). C’est tout simplement génial, voilà tout. Entrée dans le monde des ombres. Et non maman, on n’a pas oublié le « truc qui descend en serpentins », ça, c’est dans la Bayadère. (C’est mon rêve d’ailleurs : faire la descente des ombres.) Variation. Une fois que je suis plantée breathless sur le côté, la difficulté change de nature : ce n’est plus tant le souffle que les muscles, demeurer immobile demande des efforts insoupçonnés et la crampe dans la fesse vous rappelle que non, vous n’êtes pas une vraie morte. (Franchement, tous ces gens qui s’agitent dans des salles de sport, on devrait leur dire… la potiche, il n’y a rien de tel). Pour ne pas vaciller, je fixe un point dans le noir. Plus rien ne semble exister que la musique, la rampe de lumières et le noir, le noir qui vous absorbe – comme un trou noir, je pense alors. Oui, il est décommandé de penser métaphysiquement sur scène. La Willis est un papillon de nuit attiré par les feux de la rampe. Il est également déconseillé de penser poétiquement. *hem*

J’adore observer le contraste qui s’opère à la sortie de scène. La Willis classe et immatérielle se transforme en un chose qui marche les pieds flex et qui est plié en deux pour retrouver son souffle.

L’oraison funèbre

          Ca touche à sa fin. Le rideau s’est refermé. Pas de pitié pour le prince qui vient de perdre sa dulcinée, en place pour les saluts. Le prince ruisselle, et il n’y a là aucune métaphore. Le sourire, les applaudissements, les bravos (je suis une reine vénale), les fleurs grâce auxquelles nous avons abondamment arrosé la scène. (Il faut bien faire pousser les graines d’étoiles).Discours. Rideau.

Palabres après l’enterrement.

Rien que d’y penser, ça me fait rêver…

  … non, pas Disneyland Paris, s’pèces d’intoxiqués du slogan (d’accord, il est problable que je le sois deux fois plus que vous, mais peu importe).

… ce soir, première répétition sur scène. Je vais vraiment avoir du mal à me montrer froide, hautaine et autoritaire comme prévu. Non que ma grâce de pachiderme digne des hippopotames de Fantasia puisse infléchir mon bon naturel (une paire de pointes neuves ressemble facheusement à une paire de sabots- et les danses paysannes ne se trouvent qu’au premier acte, où je ne danse pas. Loi de la tartine beurrée. CQFD) Mais le prince dont je suis censée demander implacablement la mort s’avère être un danseur de l’opéra tout ce qu’il y a de plus… opéra. Vous savez, ces grandes silhouettes élancées qui ne comptent les pirouettes que par 5, oublient fréquemment de redescendre de leurs sauts et qui, quand ils marchent négligemment ont plus de disctinction que vous pourrez jamais en avoir, même en vous efforçant de toutes vos forces. Vous imaginerez sans problème le reste de l’esquisse. Etant soliste, je ne suis pas obligée d’observer exactement les mêmes poses et en biaisant un peu (et en me dévissant le cou – là impossible de dire qu’on n’a pas vu le profil autoritaire de mâdâme Myrtha) j’ai pu l’observer à loisir. Mais je suis censée être impitoyable et le toiser de toute ma grandeur chaque fois qu’il vient me supplier. Et c’est là que le bat blesse, parce que, comment vous dire ? Au lieu de mimer « toi, oui toi, mon coco, tu vas retourner danser et plus vite que ça« , je penserais plutôt « vous.. euh… pourriez-vous danser encore un petit peu, s’il vous plaît ?  » et de me fendre d’une large quatrième révérencieuse en lieu et place de ce geste d’impatience que l’autorité réserve à son subordoné.

                                  ***

    Et aussi : pointes neuves… Le mari de ma prof, sur le ton de *j’te l’avais bien dit* : « Jamais moins de trois semaines avant le spectacle, pour faire ses pointes !  » … » m’enfin l’avantage, c’est que ce soir, tu n’auras pas besoin d’éclairer : 500 kwatt d’ampoules. » Pas une seule ! *grâce soit rendue aux embouts en silicone roses, même s’ils ne sentent plus la fraise*

   On régle les saluts. Notre professeur-Giselle : « Ne comptez pas sur moi pour faire un discours, j’aurai le souffle coupé, je ne pourrai pas dire quoi que ce soit. » Et son mari de proposer que j’écrive un petit discours entre deux révisions… Je ne suis pas absolument certaine que tous apprécieraient de subir mes traumatismes divers, aqueux, hégéliens, intertextuels… (on passera sous silence cette fabuleuse correction de dissertation où chaque contre-exemple était tiré de ma copie.)

Giselle gît-elle ?

 

Giselle à Toulouse

 

        Vous l’avez certainement déjà rencontré, cette histoire d’une fille qui rêve tant au prince charmant qu’elle en donne le label  au premier venu, qui bien évidemment est vite détrompée –même si l’ersatz de prince est vraiment charmant-, mais par-delà ses cruelles désillusions soutient l’homme imparfait mais cependant aimable lorsqu’il entreprend de se fourrer dans une situation impossible.

      Dans cette perspective, Giselle pourrait apparaître comme le précurseur de je ne sais quelle série télévisée. Transposition au XIX ème siècle où le prince en a vraiment le titre et où l’on n’avait pas encore démystifié le romantisme en naïveté. Théophile Gautier a composé l’argument pour Carlotta Grisi qu’il admirait éperdument et dont il épousa la sœur (si mes souvenirs sont bons). Il y a bien sûr un certain côté poussiéreux à la chose, la petite paysanne, la chaumière, les fantômes peuplant les forêt (et d’un point de vu tout chorégraphique, la pantomime, pas toujours lisible pour le non initié)… mais non dépourvu de pittoresque et de charme. Surtout quand on accepte de se laisser emporter par le ballet, ce qui est inévitablement le cas lorsque vous le dansez et que la musique vous rentre dans la peau. Que vous identifiez un personnage à son thème musical – « Bon, ce n’est pas compliqué les filles, sur les hilarions, vous faites un temps levé vers l’intérieur » dixit notre professeur-répétitrice-Giselle. Je vous entends d’ici… temps levé ? hilarions ? pas compliqué ? à côté Hegel est limpide.

      Dans les grandes lignes, donc, voici l’histoire : Giselle, une petite paysanne qui adore danser tombe amoureuse d’un charmant jeune homme dont elle vient à apprendre le vrai visage : ce n’est pas un simple paysan, mais le prince Albrecht, déjà fiancé à la princesse Bathilde. Giselle en perd la raison et finit par mourir de déraison (c’est beau, romantique et lyrique, vous en rêvez déjà, non ? – toute irone mise à part, la scène de la folie est vraiment un moment génial). Après tant de joyeuses danses, c’est la tragédie, tout le monde pleure, le rideau se baisse. Vient l’acte blanc, où l’on retrouve Giselle, qui en tant que jeune femme fraîchement morte intègre les Willis. Ces jeunes femmes mortes avant leur mariage hantent les forêts et piègent tous les hommes qui viendront se prendre dans leurs filets – pas de pitié, ils danseront jusqu’à la mort. Une sorte de Corpse bride dansé, mais sur la musique d’Adolphe Adam. Vous pourrez toujours venir vous plaindre que c’est mièvre, vous serez reçu, je peux vous l’affirmer. En tant que reine des Willis, je soussigné, Myrtha, déclare avoir tout pouvoir discrétionnaire et tout loisir de me montrer froide, haute, distante, méprisante et par conséquent de vous envoyer bouler danser quand tel sera mon bon plaisir. Ce rôle est un délice. Donc quand Hilarion, amoureux de Giselle (au sens classique du terme) ramène ses pénates sur notre territoire, ni une ni deux, notre nature de mouche reprend le dessus et nous nous jetons sur lui jusqu’à la précipiter dans le lac. Un cas pour l’exemple en quelque sorte, Myrtha n’ayant aucune envie de penser le mal, penser la peine. Naturellement, lorsqu’à son tour Albrecht vient sur la tombe de Giselle, je lance une seconde offensive. Mais la petite nouvelle ne s’en laisse pas compter et tente d’intercéder auprès de moi en sa faveur. Niet. Bien entendu. Mais elle implore et gagne du temps, soutient son cher et tendre dans son épreuve de Marche ou crève Danse et crève, tant et si bien qu’elle parvient à la sauver. Non que je me sois laissée abuser, il ne faut pas abuser des bonnes choses. Mais le gong a retenti sous la forme de trois petits coups de carillon égrainés depuis le village le plus proche : les Willis sont des êtres nocturnes, comme tous les fantômes et le jour les disperse. Giselle a réussi à sauver Albrecht. Ils ne se marièrent point et n’eurent point d’enfants. The end. Enfin un conte qui finit bien.

         Le paradoxe dans le rôle d’un Willis, c’est de devoir donner d’impression d’immatérialité, de légèreté et d’évanescence tout en vous sentant terriblement matérielle dans vos pointes. Le long tutu blanc vaporeux ne suffisant manifestement pas à donner l’impression de légèreté tant recherchée, Myrtha passe sa vie à sauter. A la nuance près que Myrtha ne saute pas comme un petit cabri folâtre mais comme l’être désincarnée qu’elle est. Quand sur la version de l’Opéra de Paris (grâce soit rendue à Arte) vous remarquez que Marie-Agnès Gillot est essoufflée, vous blêmissez. Vous avez déjà la pâleur, c’est un bon point. Et lorsque vous vous mettez à répéter, alors là, vous êtes tout à fait dans le rôle : morte. Défunte élégante et non pas cadavre rigide cependant : nous sommes en plein romantisme, pas dans le feuilleton du jeudi soir à la morgue. Même s’il ne vous est désormais plus possible de mourir de honte, vous vous conduisez avec classe et dignité, sans rire – même quand votre fleur-baguette ponctue à contretemps votre geste aimable pour donner quelque ordre. Cette baguette peut donner lieu à des scènes fort comique à réserver uniquement au making-of de la chose. A un moment de ma variation, je cours de chaque côté de la scène pour lancer mes rameaux magiques dans les coulisses. Mais selon les deux principes qui veulent qu’il n’y ait pas de coulisses dans un studio de danse, et que l’on se dirige toujours dans la direction vers laquelle on porte son regard, j’ai attaqué une des mes consœurs Willis à coups de fleurs. Toujours dans la catégorie bonus du making-of, vous avez :

         le doux bruit des pointes neuves qui vous donne l’immatérialité d’un éléphant rose  lors même que vous êtes censée ne pas toucher terre. Comme quoi, le monde immatériel des idées est bien bas.

         Hilarion qui saute toujours de désespoir au milieu de
la ronde infernale des Willis… mais de profil au public.

         Dans le premier acte lorsque Giselle passe montrer à ses amies le collier que viens de lui offrir Bathilde et que les petites jouant les amies en question regarde d’un air au mieux interrogateur, au pire morne, le collier en perles de rocailles que Giselle leur montre avec un air extasié : «  Je sais que vous demandez ce qu’elle fiche là à nous montrer toujours son même collier. Mais il faut jouer la comédie. Sur scène on aura quelque chose d’un peu plus voyant, mais il faut imaginer. Là, je vous montre un truc incroyable ! Bathilde vient de me donner un véritable joyau ! jouez la comédie, ayez l’air un peu étonnée ! je ne sais pas moi, imaginez que c’est une rivière de diamant de chez Cartier ! »

         Et j’étais sur le point d’oublier l’élément central de notre dernière répétition : les bandeaux. Non pas des bandeaux comme dans le lac des cygnes, non. Des bandeaux de cheveux ; les cheveux qui masquent les oreilles avant d’être ramenés en un chignon de gouvernante puritaine. Avec le bout des oreilles qui dépasse façon Mr Spok, c’est totalement sexy ! Et que dire de cet ornement délicieusement désuet lorsqu’il est oxymoriquement combiné avec une tunique de danse d’un design assez moderne et d’un chauffe difforme ?  Nous n’avons donc pas manqué de nous payer notre propre tête. Néanmoins, il faut reconnaître à cette coiffure seyante le mérite de nous plonger de suite dans la peau d’une jeune fille angélique et pulmonaire du siècle dernier (enfin avant dernier pour être exact). On se consolera en pensant à Virginia Woolf.

 

Tout ça pour dire que si le cœur vous en dit, venez nous voir samedi et dimanche prochain au théâtre de Fontenay-le-Fleury.