Chercher des noises à Casse-Noisette

A l’entracte, alors qu’on tente en vain de se replacer et que Palpatine est parti chercher les flyers de la distribution, B#4 me demande ce que j’en pense, et ce n’est pas uniquement mon incapacité chronique à engager la conversation avec quelqu’un que je viens de rencontrer qui me prive de donner une réponse pertinente. Je n’en pense rien. J’aime cette féerie cristalline qu’est Casse-Noisette, la regarder se dérouler comme le compte à rebours d’une boîte à musique, me laisser hypnotiser jusqu’à ce que les derniers flocons de polystyrène soient retombés immobiles dans leur boule de neige.

Mais je n’en pense pas grand-chose. Joël, rencontré après le spectacle (il était aussi à l’opéra mais à Garnier), a sommairement mais assez justement résumé la chose : le premier acte est destiné à ceux qui aiment les enfants, le second, à ceux qui aiment la danse. Ca tombe plutôt bien, à défaut d’un quelconque élan vaguement maternel pour les shreks braillards, je fais partie de la seconde catégorie, ce qui m’empêchera peut-être de passer pour une sale gamine totalement blasée.

Pas de calendrier de l’Avent cette année, ni de sapin, mes cadeaux ne sont pas encore faits ; Noël me paraît loin, perdu dans des illuminations criardes à la Broadway sans rien conserver de la poésie de l’avenue mythique – non mais, vous avez vu l’horreur des Champs-Elysées ? Certes, ce n’est pas l’artère du bon goût, mais pas de veine, elle contamine les alentours : l’avenue Montaigne, quoique moins aveuglant en rouge, frise le bordel. D’habitude à cette période, j’adore me promener les joues au froid, emmitouflée dans des vêtements bien chauds ; cette année, le froid fait mal et n’est en rien vivifiant. Je ne trouve pas qu’il soit de bon ton de mépriser l’esprit de Noël, simplement, là, je n’y suis pas. C’est un peu la même chose pour Casse-Noisette.

Je ne parviens pas à m’émerveiller devant les enfants, même si je trouve que leurs alignements sont plutôt bien observés pour des élèves de l’école de danse. Les divertissements du deuxième acte sont brillants, mais m’apparaissent plus décousus que jamais – le paradigme de la fête fourre-tout dans laquelle les délégations étrangères (espagnoles, russes, chinoises…) côtoient des bergères de roman précieux. La danse arabe est une petite merveille de sensualité ; aussi ne devais-je pas avoir les sens très en éveil pour m’étonner de l’ampleur des applaudissements lorsque Céline Talon est venue saluer. Quant au prince, j’ai eu du mal à reconnaître Marc Moreau dont il m’avait semblé lire le nom dans la distribution affichée sur le site de l’opéra, et pour cause : c’était Nikolaï Tsiskaridzé. Pas forcément une grande complicité avec sa Clara (on peut imaginer que l’artiste, invité, a eu un nombre de répétitions assez réduit avec sa partenaire), mais bon prince (ah, la variation du deuxième acte, quasiment imprimée dans la mémoire depuis le concours… c’est reposant de ne pas craindre de l’y voir tituber – tours finaux qui claquent), sans qu’il me mette sous son charme.

Trop de mais. Peut-être est-il un peu normal de chercher des noises à Casse-Noisette : après tout, son combat contre le roi des rats donne lieu à l’un de mes moments préférés, en souris bon public que je suis. Et il est clair que Myriam Ould-Braham est parfaite en Clara (je me demande bien en quoi elle ne serait pas parfaite, tiens – la mauvaise foi est à double sens). Tous les gestes sont ciselés, nuancés ;  l’évolution de son personnage, parfaitement conduite : métamorphose de l’enfant à la femme, que je ne peux que constater lorsque, à la clôture du songe initiatique par le réveil de Clara, je suis surprise de la retrouver dans sa petite robe bleue, enfantine sans être puérile. Quelques instants auparavant, elle était en tutu plateau, maîtresse souveraine. La petite Wendy a bien grandi, et Myriam Ould-Braham est plus ravissante que jamais.

 

Ces petites noisettes (entourées de chocolat praliné, on ne voyage pas au royaume des sucreries pour rien) étaient délicieuses, mais, vous l’aurez compris, je n’en ferai pas provision – vision plus que jamais éphémère. Je ne regarde pas ce ballet de haut, certainement pas ; nénamoins, si j’en donne l’impression, c’est peut-être aussi de l’avoir vu de haut. Curieux qu’il ne m’ait pas porté au septième ciel, parce qu’on est était très proche aux 7èmes galleries : la vue imprenable sur les crânes plus ou moins dégarnis du parterre en contrebas (exception faite pour les chignons des gamines – Casse-Noisette fait descendre la moyenne d’âge du public) nécessitait de ne pas avoir le vertige et de faire attention à ses affaires (j’ai tout de même réussi à faire tomber ma place comme un flocon, qui a eu le culot de filer la métaphore jusqu’à fondre et demeurer introuvable).

[moment volé au ballet : me tourner vers ma droite et voir nos trois petites têtes plantées sur nos mains, avants-bras posés sur la rambarde – spectateurs à la tête de choupinets]

La vision est assez bonne en ce qui concerne le champ auquel elle ouvre : l’angle mort sur le côté est très faible, bien plus qu’à Garnier, surtout avec les décors encombrants (il n’y a guère que l’arrière-scène qui soit hors de vue et masque l’arrivée du roi des rat – la scène de Bastille est très profonde, aussi) ; elle l’est beaucoup moins en terme d’angle. Si l’on oberve quelques curiosités, comme les arabesques décroisées ou la neige de polystyrène qui tombe bien en ligne en avant-scène, puis en arrière-scène, laissant au corps de ballet, entre les deux, l’espoir de ne pas trop glisser, la belle cartographie mouvante qu’offre cette vue du ciel ne suffit pas à compenser les visages qui nous sont soustraits (et que j’étrangle Palpatine en lui empruntant ses jumelles, passées autour du cou par précaution, rapport à la hauteur – Héloïse Bourdooooon !), ni surtout à faire oublier à quel point les lignes sont aplaties. Le problème n’est pas tant que la distance fasse des danseurs de petites marionnettes, mais qu’elle en déforme les proportions, les écrasent : les arabesques sont raccourcies, les sauts plaqués à terre… Plus que jamais, je me rends compte que la danse classique repose sur une esthétique des lignes. Il me vient alors à l’esprit que si la gestuelle déstructurée de Genus faisait glousser ma voisine qui soulignait pourtant l’originalié de Nicolas Paul en s’étonnant de ce que l’on pouvait encore inventer après Forsythe (elle semblait donc l’apprécier), c’est peut-êtr
e parce que Wayne McGregor brise ces lignes (ou les fait onduler), tandis que Forsythe (du moins celui du répertoire de l’Opéra de Paris, je ne connais de toutes façons que celui-ci) les rend encore plus visibles par les étirements auxquels il les soumet. Une idée comme ça, ce doit être l’effet boule de neige. A ne pas confondre avec l’effet flocon de neige (cf chez Palpatine le « mathiiiilde » final).

Autres facettes

Autre distribution et autre place pour les Joyaux, seconde représentation à laquelle j’assistai mercredi dernier (enfin celui d’avant, le temps que je finisse de rédiger la présente chose), après le concours, pour parfaire ma journée de balletomaniaque. Cela cancanait ferme dans la loge. Rien que des habitués, semblait-il, à en juger par une jeune fille qui a rectifié le placement indiqué par l’ouvreur et un homme qui, après avoir salué tout le monde, « bonjour mesdames », a annoncé que « Brigitte » lui avait donné les résultats –dûment commentés à l’entracte. Une belle démonstration de l’art d’être vipère, soit directement (« Elle restera sûrement première danseuse toute sa vie. –On n’est pas à l’abri, ils ont bien nommé … « ), soit par ouïe dire, selon ce que le jury aurait dit : « Elle nous est arrivée anorexique et maintenant, elle est obèse ! ». J’en profite pour enquêter sur les raisons de la disparition d’Eleonora Abbagnatto : on tarde à la nommer et on va finir par la perdre, elle a renouvelé son congé sabbatique de six mois, pas bon signe, et fait des show médiatiques en Italie – c’est une star, là-bas, un peu comme Roberto Bolle. Devant ma grimace, que j’ai peut-être réussi à réfréner en air sceptique : pas la même qualité, évidemment.

 

Cela laisse plutôt perplexe la dame à qui j’ai vendu le billet de la regrettée (et regrettant, pour les raisons que nous allons voir) B#4, que je n’ai par conséquent toujours pas eu le plaisir de rencontrer. Une demi-heure avant le spectacle, je m’étais rendue à la billetterie, et devant la foule, à peine avais-je sorti les munitions de mon sac qu’une femme m’a littéralement sauté dessus : « Vous vendez des places ? ». Euh… c’est-à-dire que… oui. Et alors que je m’apprêtais à faire l’article d’une place notée « sans visibilité » en expliquant à des touristes butés qu’en dépit de cela, on y voit plutôt bien, j’insistai au contraire sur le dixième de scène qui serait manquant, n’ayant pas envie de me faire assommer à coups de programme par la suite. Mais non, la loge impératrice lui convient parfaitement – et à moi donc, qui y mettait les pieds pour la première fois.

 

Sitôt que l’ouvreur a tourné le dos, je prends place sur la banquette aux côtés de la détentrice du cinquième fauteuil (ordre et convenance), et dès que le noir se fait, j’enlève mes chaussures pour ne pas salir le velours rouge et grimpe sur le dossier de la banquette, d’où l’on voit divinement bien. Certes, le fond de scène côté cour échappe à mon champ de vision mais, étant au-dessus de la fosse d’orchestre, on a l’impression d’être sur scène avec les danseurs. Côté jardin, on aperçoit les techniciens qui vont et viennent, un danseur d’un autre tableau en chauffe rouge vient jeter un œil à ce qui se passe sur le plateau. D’habitude, de face, le souffle est tamisé par l’orchestre, l’essoufflement ne pouvant qu’être déduit de la peau luisante, elle-même l’indice de la sueur ; ici, on les entend respirer, souffler, compter aussi parfois et, bien plus que le professionnalisme exigé ne le laisserait supposer, parler. Pas sur scène, ce qui pourrait s’envisager dans un ballet avec tableau villageois et force pantomime, qui requiert de mimer les conversations (où l’on s’étonne toujours beaucoup, à croire que lorsqu’ils se rencontrent en coup de vent, les gens échanges davantage des ragots que des platitudes météorologiques) ; non, ils parlent en coulisses, mais assez fort pour être audibles des premières loges. Lorsque le corps de ballet se rassemble dans la dernière coulisse pour le défilé de Cour des Diamants, on dirait un groupe de gamins en sortie scolaire, sommés de se mettre en rang deux par deux. Il semblerait qu’il n’y ait pas qu’en primaire où l’on proteste contre le voisin qu’on nous a dévolu puisque j’ai entendu distinctement –si mon oreille si fine ne m’abuse- un « connasse ! » résonner haut et fort. Bientôt les rangs passent devant la maîtresse qu’est le public ; sourire royal.

 

 

Emeraudes s’apprécie avec le temps, de même que Laëtitia Pujol que j’y ai vu deux fois, et qui m’a semblée délicate et non plus plate la seconde fois. Cette fois-ci, Isabelle Ciaravola se livrait à ce travail d’orfèvre, avec une danse ciselée – ce qui n’est guère étonnant pour une pointure (ou cambrure, devrais-je dire). Je ne suis pas une inconditionnelle de cette étoile que j’ai vue pour la première fois dans La Petite Danseuse de Degas, alors qu’elle était première danseuse, dans le rôle…. de l’étoile. Ses mines éthérées m’avaient un peu agacée, et j’ai mis du temps à me défaire du souvenir de ce qui n’était en réalité qu’un rôle. Bien joué, il faut le croire, puisqu’elle pourrait rendre par mal de danseuses vertes de jalousie dans les Emeraudes.


C’est bien dans cette partie que les évolutions de corps de ballet sont le plus inventives : dans les formations de danseuses se tenant par la main, les bras deviennent les griffes qui sertissent soli, pas de deux et pas de trois. Eve Grinsztajn n’en jette pas autant que Claire-Marie Osta en Sicilienne, mais dans l’ensemble, le tableau est délicieux.

 

 

Rubis m’a paru cette fois-ci plus agressif qu’impertinent. Dorothée Gilbert est davantage séductrice là où Aurélie Dupont était plus mutine, mais le rôle est taillé pour elle, c’est dansé rubis sur l’ongle – en sus, la largesse de regards de connivence avec Emmanuel Thibault, lui aussi flamboyant. Marie-Agnès Gillot a cédé sa place à Stéphanie Romberg : cette fois, c’est elle qui est taillée pour le rôle – à croire qu’il est le privilège des grandes (même s’il n’y a pas ce côté amazone chez elle).

 

Quelque chose de légèrement irritant, comme si l’on était attaqué par la musique. Peut-être aussi n’étais-je pas vraiment concentrée puisqu’à la fin d’Emeraudes, une femme est arriv
ée dans la loge, le trousseau de clé emprunté à une ouvreuse autour du coup, et un bouquet de fleurs à la main. « C’est le dernier soir d’un danseur du corps de ballet, alors je vais lui lancer le bouquet à la fin », explique Claire-Marie Osta, à présent émergée de l’ombre. Elle a passé le tableau en grappillant une vision aussi large que possible, la tête étirée (je la verrais bien en cygne tout d’un coup) à quelques centimètres de mon épaule. Je n’ai pas pu m’empêcher de jeter quelques coups d’œil dans le miroir en face de nous, pour vérifier que je ne me trompais pas de personne, et ne rencontrais que mon propre regard, dérangeant pour n’être pas à propos, quand il était palpable que toute la salle, toute la loge, le sourire de l’étoile, dirigeait son attention sur la scène. J’ai pensé très fort à lui dire ma surprise admirative pour sa Sicilienne, glisser qu’elle était bien, dans Amoveo, géniale, j’aurais dit parce que la chorégraphie l’est, et qu’elle avait ce curieux regard, en apesanteur sur l’épaule de Nicolas Leriche (et que de toute bonne foi, je n’avais pas à trouver un superlatif pour Aurélie Dupont que je n’avais pas encore vue dans le rôle – de toute façon, le changement de partenaire reconfigure le solo et la relation qui s’établit entre les deux solistes ; Osta ne donnant pas à voir le même Leriche que Dupont, je reste de toute bonne foi sur mon compliment tu), mais le moment n’est jamais le bon, le compliment toujours indécent par rapport à son émotion en cet instant du départ à la retraite de Gil Isoart. Ce dernier est acclamé avec et par les étoiles, le bouquet rouge est lancé, Claire-Marie Osta repart et j’ai la confirmation de ce que je n’ai pas la fibre de groupie. Il me semble faire bien plus de cas d’elle que de n’en avoir rien à ficher – rien à faire de lui adresser un mot ou de lui demander un autographe (réflexe palpatinien qui me déclare gourde ou quelque chose dans le genre).

 

 

Delphine Moussin et Mathieu Ganio ont, me semble-t-il, rendu les Diamants plus brillants : ils ne perdent rien de la pureté de José Martinez et Agnès Letestu, sans qu’il y ait trace d’une certaine dureté que dégage parfois cette dernière. Delphine Moussin est plus rayonnante que royale et ma foi, je dois admettre que Mathieu Ganio n’était pas mal à ses côtés, comme s’il gagnait en humilité à être partenaire d’une telle étoile. Il s’étoffe un peu, commence à perdre sa tête de jeune premier et sa morgue candide qui m’horripilait. Encore un peu plus de temps et moins de mauvaise foi, on pourra en faire quelque chose (c’est-à-dire le sortir de mes boucs émissaires, pas le placer au rang de mes favoris).

 

 

Concours du corps de ballet de l’Opéra ; ces messieurs nous disent… 3/3

Vendredi 20 novembre. Garnier.


 

Les quadrilles ont fait leur devoir d’écolier avec la Mazurka d’Etudes, redoutable pour la propreté, notamment dans la réception des tours en l’air. La qualité des sauts s’entend également, étant souvent inversement proportionnelle au bruit qu’ils occasionnent – sans compter les cabrioles, dont on ne pouvait manquer de constater qu’elles étaient battues ; et schlack !

La meilleure imposée était incontestablement celle de Yann Chailloux : outre les tours qu’il a claqués avec aisance et terminés en suspension avant d’enchaîner avec des tours en l’air impeccables, qui ont soufflé les gamins de l’Opéra et déclenché quelques rires sur le mode « tout va bien pour lui, là, tranquille… », il n’y avait aucun à-coup dans les pas de liaison, qui de ce fait mettaient pleinement en valeur ses immenses jambes dans les pas véritablement techniques. La classe, quoi. D’autres ensuite n’ont pas démérité, même si le contraste entre Yann Chailloux et les autres demeurait flagrant. Aux délibérations, j’ai textoté mon enthousiasme à ma prof de danse qui a été ravie d’avoir confirmation de ce qu’elle avait pressenti – il lui avait montré ses variations en catastrophe la semaine suivante, plein de doute (c’est lui qui avait dansé Albrecht dans la Giselle de notre école il y a deux ans).

Sa variation libre ne manquait pas non plus de brio, avec ses tours en tous sens. Première fois que je voyais la variation homme du pas de deux d’Esméralda (alors que celle de la fille…). J’ai eu un peu peur sur le moment qu’avec toutes ces pirouettes, il ne montre pas assez qu’il avait plus d’un tour dans son sac, mais ma crainte était infondée, bien que d’autres libres aient constitué un bon spectacle. Sans toutefois former le pendant à l’intense Sabrina Mallem, Alexandre Labrot n’était pas mal en jeune homme de Mirages. Michaël Lafon ne s’est pas mal défendu non plus, même la croix qu’a mis ma voisine en face de son nom soit peut-être davantage du à la beauté de son visage (c’est le joueur de flûte de la Fille mal gardée ; il était mieux cheveux libres et pantalon large – mais je m’égare là, heureusement que ça fait une pseudo transition avec le suivant). Le Colas de Takeru Coste m’a bien plu. Alexandre Carniato manquait un peu d’étoffe pour danser Abderam. Le prince de la Belle au bois dormant de Julien Cozette a été carrément crapauteux. On croit un instant que ça va être bien et – non. De famille ? Quant à Adrien Couvez, j’ai été charmée de découvrir grâce à lui une chorégraphie de José Montalvo, le Rire de la lyre, très inspirant malgré la réaction éponyme qu’il a déclenchée chez les gamins alentours. (Gros bug mémoire – Speaking in tongues de Taylor et Andréauria d’Edouard Lock ne suscitent aucune image dans mon crâne de piaf ; pourtant des choses à moi inconnues – qui avaient du me plaire – bon, je refais un tour de bocal et je vous dis si ça me revient).


 

Les coryphées concouraient sous le signe de Casse-Noisette, mais version Noureev pour ces messieurs ; variation du prince, acte II, dont l’une des difficultés les plus visibles était le manège de posé temps levé battu suivi d’un saut de basque double (moi et la dénomination des pas…) aux virages mal négociés, lorsqu’il n’était pas aplati en deux traversées, et l’autre, le tour en dedans dans la foulée de l’en-dehors, qui a donné lieu à maints déséquilibres (j’ai le souvenir d’une main par terre – à moins que ce ne soit chez les quadrilles). Je ne saurais plus trop dire comment chacun s’en est tiré – ça se tenait plus ou moins. Yannick Bittencourt avait la classe – et moi quelques têtes que j’aime bien, comme Axel Ibot (dont la fougue à présent assagie m’avait plue lors du premier concours que j’avais vu, où il était quadrille) ou Allister Madin, qui m’avait bien fait rire dans La Fille mal gardée, et que vous pouvez reconnaître sur cette vidéo de très mauvaise qualité grâce à ses fameux collants costumisés par sa maman (le jeune homme prend soin de ses affaires, il avait déjà ce vert-là avec des palmiers au stage de Biarritz que j’avais fait il y a bien trois ou quatre ans. Il sortait de l’Ecole ce me semble, et faisait un défilé de tenues colorées – les collants roses étaient violents aussi, mais peut-être pas autant que celui à losanges).

Côté libre, c’est encore plus éclectique ; un Lacotte est pris en sandwich entre deux Forsythe, l’Approximate Sonata de Gégory Gaillard étant moins approximative qu’Yvon Demol dans In the middle, somewhat elevated, justement un peu trop dans le middle – on aimerait plus d’extrémité, plus de souplesse dans les ondulations et déhanchés. Axel Ibot pas mal dans Dances at a Gathering, if memory serves – mais je fais un peu une soupe de toutes ces robbineries. Le Basile de Florimond Lorieux passait bien, même si ma voisine déplorait que l’ami de son fils ne soit pas très en forme. Malgré (ou à cause de ?) la prétention dont il me donne parfois l’impression, Allister Madin n’était pas à son mieux en Roméo – et puis la chemise blanche ouverte sur tous ces poils, non (oui, je sais, j’ai un peu abusé des jumelles en cette journée masculine. De fort beaux gosses dans le lot, tout de même. Quand j’ai réalisé cela, j’ai du reconsidérer le délit de sale gueule dont je rends passible Ganio : ce n’est pas d’être beau gosse, en fin de compte, c’est de montrer qu’il en a conscience et de jouer de sa figure de jeune premier). Du Paquita bien technique par Marc Moreau et Fabien Revillon. Daniel Stokes (je ne crois
pas l’avoir jamais vu) a provoqué quelque surprise en nous montrant que Vaslaw était une chorégraphie unisexe – les sauts rendent mieux que chez les filles, cependant qu’elles maîtrisaient mieux les contractions (pas le terme, mais je commence à en avoir aussi marre que vous). Matthieu Botto a joué avec le feu en reprenant la variation des quadrilles et s’est brûlé en la dansant comme un bourrin. D’autant plus violent qu’il faisait suite à la variation lente de Siegrfried, que Yannick Bittencourt avait royalement déployée. Les juxtapositions malheureuses sont l’un des aspects du concours. Avec sa courte variation de Paquita, Marc Moreau ne nous a pas laissé le temps de sortir du Frollo magistral de Cyril Mitilian, dont l’interprétation a provoqué une qualité d’attention comparable à celle de Sabrina Mallem chez les filles. Lorsque sa main se met à tourner brusquement, on sent qu’elle devient étrangère au corps de Frollo contre lequel elle se tourne, comme si elle le gangrenait peu à peu de sa folie.

 

Je déjeune avec ma voisine, bientôt rejointe par un ami à elle, danseur amateur à raison de trois cours par semaine (un adulte, et un homme, par-dessus le marché – plutôt rare), lui aussi fan de Mathilde.

 


Les sujets se sont dans l’ensemble plutôt bien tiré de la variation de Solor du deuxième acte de la Bayadère, à part un manège pris à contretemps durant lequel on entendait la pianiste et accélérer désespérément pour rattraper l’étourdi qui se croyait pris de vitesse et ne ralentissait donc pas, et un ratage qui faisait tache dans la variation de Bruno Bouché (d’aucuns sont allés jusqu’au jeu de mot peu charitable que je ne rapporterai pas parce qu’il ne fait pas partie des mes boucs émissaires, ayant été un bon professeur lors d’un stage à Roissy s’est rattrapé dans Sylvia – même si son Orion n’était pas non plus cosmique). Je serais bien incapable de faire un choix parmi cette classe plutôt homogène et où même ceux qui en ont l’étoffe manquent encore un peu de carrure pour devenir premier danseur. Alors qu’en quadrille et coryphées, les garçons ont plus de prestance que les filles, la tendance s’inverse chez les sujets, où les danseuses sont beaucoup plus matures et accomplies que leurs homologues masculins. La qualité n’est pas telle qu’on se croirait en spectacle.

Le pyjama rouge de Mallory Gaudion ne m’a pas du tout endormie face à sa Suite of dances (je n’aurais pas imaginé de la danse sur cette musique, c’est marrant) – en revanche, j’ai dû voir le Other dances de Yann Saïz en état de somnambulisme. Trop de Robbins tue Robbins. Avec se pattes de mouche et sa silhouette frêle (quoique fort à mon goût, comme j’ai pu le vérifier dans Amoveo), Don José n’était clairement pas le rôle indiqué pour Josua Hoffalt qui manque de carrure au propre comme au figuré pour jouer au toréador. C’est passé de justesse, hole ! Aurélien Houette avait beaucoup de gueule en Abderam (aux jumelles, je vous assure qu’il avait un sabre laser en guise de regard), mais pas assez de solidité pour maintenir le tout. J’ai pu admirer Audric Bezard en Des Grieux, même si je l’ai préféré dans Proust ou… la première fois où je l’ai vu, et dans Genus la semaine dernière : un danseur immense et à la beauté tout sauf insipide… qu’on le laisse s’affiner autant que ses jambes nerveuses, et on n’aura plus qu’à déguster. J’ai eu le plaisir de prendre une dernière rasade de Roland Petit avec le Fantôme de l’opéra de Julien Meyzendi, pas mal mais dont l’interprétation n’était pas à la hauteur du Frollo de Mitilian, par exemple. Vincent Chaillet a clos les hostilités en dansant Arépo avec plus de force et de rythme que ne l’avait fait Sébastien Bertaud chez les coryphées. J’avais les épaules qui me démangeaient en sortant, mais j’ai descendu sagement les marches du métro en posant la pointe du pied et pas seulement les talons.

 

Les résultats

 

Coryphées

Monsieur Yann CHAILLOUX (25 ans)
Monsieur Adrien COUVEZ (28 ans)
Monsieur Mickaël LAFON (21 ans)

 

Evidence pour le premier, curiosité pour le deuxième et volontiers pour le troisième. Couvez et le Rire de la lyre après la miss Boucaud et Apollon… l’invocation aux Muses marche bien !

 

Sujets
Monsieur Florimond LORIEUX (22 ans)
Monsieur Fabien RÉVILLON (23 ans)

Mais où diable est Yannick Bittencourt ? (et pourtant, je ne suis pas fan des princes, d’habitude..). J’aurais bien vu Mitilian aussi pour son Frollo, mais comme je ne me souviens plus de son imposée, je me tais.

 

Premiers Danseurs
Monsieur Josua HOFFALT (25 ans)
Monsieur Vincent CHAILLET (25 ans)

J’aurais bien aimé Audric Bezard aussi, mais il y a sûrement du souhait de midinette là-dedans.

 

Un Don Quichotte slave

Samedi au théâtre des Champs Elysées se produisait le ballet de Saint-Petersbourg, qui a pour particularité d’être russe sans être ni le Bolshoï ni le Marinsky, et de graviter autour d’Irina Kolesnikova, qui n’en est pas l’étoile mais la star, avec tout le battage médiatique que cela suppose (quand bien même il a lieu à l’intérieur du cercle réduit des balletomanes). Affiches, DVD en vente à l’entrée, à l’entracte et à la sortie (l’argent, c’est du temps) et programmes qui, dans leur format et leur mise en page, évoquent davantage Holiday on Ice ou quelque comédies musicales que l’Opéra de Paris, ne sont pas sans me rappeler le théâtre de Mogador lors du Lac des Cygnes de Matthew Bourne.

L’étoile fait également trou noir et avale les autres points de la constellation : en fait de distribution, il y a Irina Kolesnikova, et pour les autres, eh bien, il faudra émettre des conjectures armé de vos jumelles et des mini-bios du programme (dans lequel on apprend que Olga Ovchiminikova « loves rainy weather, the stars and the full moon rainbows and hot tea. She adores cats and dogs » et que Dimitri Akulinin « is interested in computers and cars ».) ou s’introduire auprès de balletomaniaques certifiés (en fait, non, c’était la représentation du lendemain).

 

(à pois, oui…)

 

De face au premier balcon, ma grand-mère et moi étions parfaitement placées pour apprécier le spectacle. Après les avoir vues dans la Bayadère l’année dernière (enfin, la saison dernière), je me demandais un peu ce que donneraient les Russes aux jambes infinies et aux bras lyriques en Espagnoles, que l’on veut nerveuses et séduisantes. Dymchik Saykeev en tête, les tziganes de l’acte II viennent nous rappeler que le caractère bien trempé des slaves permet sans problème de bâtir des châteaux en Espagne : ce sont des cambrés renversants pour les danseuses renversées par leur partenaire (-ah ouais, il y avait un cambré à cet endroit-là ?), des épaulements de caractère (voire caractériels – les têtes sont si marquées que les regards disparaissent parfois vers le sol – du moins depuis le premier balcon), et une énergie folle – joyeuse escapade récréative après les représentations de Giselle des jours passés et avant le très classique Lac des cygnes.

Le corps de ballet (toujours un peu à l’étroit lorsqu’il est au complet – pourtant une quarantaine de danseurs tout au plus) m’a paru bien plus ensemble que la dernière fois. Ou peut-être se soucie-t-on peu de l’alignement des danses de rue lorsque l’ensemble est vif et enlevé – enthousiasmant.

On en oublierait presque les costumes qu’on dirait amassés au fur et à mesure sans vision d’ensemble. Dommage, car les décors étaient très réussis. Les couleurs des jupes jurent joyeusement : Mercédès (envoutante Evgenia Shtaneva) déploie son aguichante sensualité dans une robe rose quand les toréadors sont en rouge, et Gamache se ballade en violet criard au milieu des frous-frous jaunes et verts. Le songe du royaume des dryades nous fait un petit rappel du bon goût anglais qui œuvrait déjà dans la Bayadère, avec des bleu, vert d’eau et rose bonbons, qui ne valent cependant pas la choucroute blonde dont était affublée Olga Ovchinnikova ( ?), par ailleurs un Amour de danseuse. D’une manière générale, le rêve de Don Quichotte vient un peu comme un cheveu sur la soupe, l’incise d’un intermède en tutu plateau est un brin kitsch. Avec leur manie des jambes pliées, les russes apparaissent comme de charmantes confiseries sur béquille. Certaines dotées de plus de crème que d’autres ; j’ai cru un instant que l’une des quatre danseuses était un peu enrobée (ce qui de toutes manières aurait été très relatif à la maigreur des autres), avant de m’apercevoir que c’était simplement qu’elle avait de la poitrine. Retour à la réalité.

 

 

La pantomime est exagérée jusqu’au burlesque. Les oeillades de Kitri sont un régal, d’autant que le maquillage bien chargé fait ressortir le blanc des yeux agrandis de surprise ou d’amusante inquiétude. Je me régale aux jumelles des expressions des uns et des autres – et non pas uniquement, comme le suggérait ma grand-mère emballée, du physique fort peu désagréable de Basile, Dmitry Rudachenko, je dirais ( ? malgré une photo peu flatteuse dans le programme). En plus d’être très mignon, il a la fougue (et la taille) requise pour être parfaitement raccord avec sa partenaire. Le couple fonctionne très bien, synchronisé jusque dans son coup de moins bien lors des variations du pas de deux du troisième acte : après les pirouettes plus qu’approximatives (pour ne pas dire chaotiques) de Basile, Kitri réussit à envoyer valser faire tomber son éventail après un début à la Noureev (? pour remplacer les grands jetés par des attitudes à la russe ?). Elle a finit la variation avec force mouvements de bras ; puis un dévoué garçon du corps de ballet est galamment allé récupérer l’éventail accusateur abandonné en avant-scène, histoire que la suivante ne se casse pas la margoulette dessus. Heureusement, la coda a été explosive, avec autant d’assurance et d’élégance que Basile en avait montré jusque là (contrairement à Dmi
tri Akulinin qui a campé son toréador avec certes l’aplomb nécessaire, mais aussi une force qui ne l’était pas forcément), et une Kitri qui a claqué des triples tous les trois fouettés.

Néanmoins, les danseurs ne cherchent pas la technique, ils l’ont trouvée : pas de spectaculaire, rien que du spectacle.

Précieux et étincelants : de joyeux joyaux

Les Joyaux sont le premier ballet de Balanchine qu’il m’a été donné de voir, il y a quelques années, et j’y suis retournée hier en bonne compagnie (je vais peut-être poster le compte-rendu avant, si ce n’est pas dingue, ça !). Je ne sais pas si c’est parce que le ballet nécessite la réquisition d’une belle brochette constellation d’étoiles à déguster sur place, qu’il y a moins de monde à faire venir que pour un ballet traditionnel, ou si ce choix judicieux ne doit en fait qu’au hasard, mais la soirée s’est ouverte par le défilé de l’école et du ballet de l’Opéra de Paris, avec toute la pompe musicale et le pas cadencé que cela suppose. Il obéit à des règles solennelles : les danseuses, toutes en tutu plateau blanc, descendent d’abord la scène à partir du foyer de la danse, pour l’occasion ouvert en arrière-scène, depuis la sixième division (un rat lance l’offensive) jusqu’aux étoiles, en suivant les échelons de la compagnie ; puis viennent les danseurs, élèves et professionnels, en haut blanc et collants noirs, sauf les étoiles tout de blanc vêtus. Seule entorse au crescendo hiérarchique : les étoiles sont intercalées entre les rangs de danseurs, histoire de souligner que chacune est unique en son genre, et de ménager les slaves d’applaudissements, qui se révèlent la côte dont ils jouissent auprès des balletomaniaques. Comme l’a dit l’une d’elles, qui attendait pour des places de dernière minute et qui avait déjà vu le défilé, Emilie Cozette a pu sentir un froid. Ce n’est pas l’Antarctique non plus, même si cela ne peut évidemment pas rivaliser avec les applaudissements chaleureux adressés à Aurélie Dupont ou Nicolas Leriche. Il est assez amusant d’observer la disparité des morphologies et surtout des tailles lorsque toutes les étoiles se retrouvent en ligne.

Munie de mes jumelles, je n’ai eu aucun mal à repérer A., un garçon de mon cours de danse qui a rejoint Nanterre cette année comme stagiaire (heureusement qu’il était côté jardin). Sa mère disait dans les vestiaires que la perspective du défilé n’avait pas l’air de l’émouvoir plus que cela, mais malgré la belle prestance et le pas assuré (beaucoup plus chez les garçons que chez les petites filles, qui ne paraissent pas forcément très à l’aise), le sourire indiquait tout de même quelque timidité.

Après le défilé des têtes couronnées, on nous a proposé quelques parures à assortir (pas avec des tenues, mais avec des pays) : les émeraudes, les rubis et les diamants, qui renvoient respectivement à la France, aux Etats-Unis et à la Russie.

C’est amusant, alors que j’expliquais à la Bacchante que je ne connaissais rien à la musique et qu’elle me racontait qu’elle avait trouvé un moyen d’identifier l’origine géographique/culturelle d’une musique en l’associant à une couleur, j’avais tout de suite pensé à Joyaux, et le lui disant, elle s’est rendu compte l’avoir justement lu dans un dialogue du livre qu’elle avait entamé. Coïncidence qui peut prêter à sourire mais qui montre combien les correspondances synesthésiques, toutes personnelles et arbitraires qu’elles puissent être, sont un procédé bien ancré dans notre manière de lier les choses entre elles.

La trilogie des couleurs se retrouve au niveau des costumes, déclinés en tutus longs ou romantiques pour les émeraudes, sortes de bustiers à jupette courte pour les rubis, et tutus plateau pour les diamants – tous de Lacroix, magnifiques. Et pourtant, Dieu sait que je ne suis pas une fanatique de la paillette et du brillant ; mais là, tout scintille sans être clinquan.

Nous avons eu droit à une distribution de rêve, surtout pour les rubis et les diamants.

En émeraudes bien polies, dansaient Laëtitia Pujol et Clairemarie Osta ; en émeraude un peu lisse, Mathieu Ganio. La variation de Clairemarie Osta était très réussie pour la partie qu’il m’a été donnée de voir (loge de côté, un angle mort du côté cour, qui n’a posé de véritable problème que pour cette variation, puisque les solistes étaient assez centrés le reste du temps, et que l’on peut aisément reconstruire mentalement la symétrie escamotée). Laëtitia Pujol n’était pas mal non plus ; je l’ai en tous cas davantage appréciée que lorsque je l’avais vue dans le même rôle en 2002 – à moins que ce ne soit la chorégraphie, que j’ai trouvée beaucoup plus fine et ciselée que la dernière fois, où cette partie m’avait semblé un peu plate en comparaison des deux autres plus enlevées. A moins encore que ce ne soit la musique de Fauré. (Toute parfaite qu’elle soit en rubis, j’aimerais vraiment voir Aurélie Dupont dans les Emeraudes, elle serait capable de me les faire apprécier encore davantage).

Aurélie Dupont, Mathias Heymann et Marie-Agnès Gillot ont été tout feu tout flamme en rubis. Il faut dire que la chorégraphie, sur la musique de Stravinsky, s’y prête plutôt bien ; à tel point que Rubis est souvent donné indépendamment des autres pierres précieuses entre lesquelles il est serti, sous le nom de Capriccio (157 représentations, contre 75 pour le vert et 76 pour le blanc – je me demande si les Diamants seraient aussi beaux présentés bruts).

Marie-Agnès Gillot, qui domine bien d’une tête le corps de ballet féminin et qui paraît plus à son aise lorsqu’elle danse au milieu des hommes, avait quelque chose d’une splendide amazone, resplendissante dans son écrin de partenaires qui, la maintenant qui d’une jambe, qui d’une cheville, qui à la taille, la tournaient de tous côtés, comme le joailler oriente une pierre précieuse de manière à lui faire prendre la lumière et à multiplier l
es reflets qui en émanent
. Cette espèce de pas de cinq n’est pas évidente, si l’on ne veut pas donner l’impression d’une manipulation chirurgicale et ne pas réveiller chez le spectateur le rêve pour la danseuse d’avoir un partenaire pour lui faire la grue et que ses jambes tiennent en l’air sans effort.

Aurélie Dupont était elle aussi parfaite, c’est peu de le dire. Ses équilibres lui permettent vraiment de jouer sur les terribles déhanchés de cette partie (avec la marche sur « pieds cassés » de Gillot, la chorégraphie en jette). Entre deux mimes de corde à sauter, elle paraissait en pleine complicité avec Mathias Heymann. Je ne l’avais jamais vu (en tous cas, pas en tant qu’étoile ou soliste), et suis tout à fait ravie de combler cette lacune. B#2 avait raison, il a un peu le ballon d’Emmanuel Thibault (c’est d’ailleurs lui que j’avais vu la première fois), patiné d’une élégance certaine. Pour que les sauts paraissent impressionnants alors que la vue en plongée a tendance à les écraser considérablement…

Bref, c’était terrible.

Après l’entracte et une tentative avortée de se replacer, on reprend place de pied ferme (oui, oui, au singulier, je me suis perchée sur le pied gauche –talonné- pour avoir une meilleure vue) pour la troisième et dernière partie, une rivière de diamants sur la musique de Tchaïkovsky. Plus de bras déliés et d’abandons romantiques, ni de déhanchés jazzy, le blanc n’est pas la couleur de la pureté pour rien. Du classique dans ce qu’il a de plus magistral, avec de belles lignes, qu’il s’agisse de celles parfaitement harmonisées du couple Agnès Letestu – José Martinez (the perfect cast), ou des alignements impeccables, quoique constamment ré-agencés du corps de ballet – qui pour une fois ne fait pas les potiches : ça défile, tourne et plonge (arabesque) sec. Une des filles du corps de ballet  (mais laquelle ? – il faudrait procéder par déduction, il ne me semble pas l’avoir vu dans les parties précédentes – ni dans d’autres ballets, d’ailleurs) est fascinante, son port de tête est d’une classe infinie, même lorsqu’elle ne danse pas et que les autres ont le charisme qui rabougrit le temps de reprendre leur souffle. Et puis, rien à faire, une pléiade de danseur qui pirouette d’un même élan, ça claque. Vous me direz, c’est souvent le but recherché à la fin d’un ballet – la tentation de l’apothéose, voilà tout (tant que c’est réussi, on en redemande).

On aurait bien imaginé continuer avec des saphirs en bonus, mais on ne déroge pas aisément à la sacro-sainte trinité.