Des lapins, Descartes, des rythmes ternaires bancals

Cinq heures de philosophie dont une extra, comme ça, pour le plaisir d’avoir parcouru la sixième méditation de la journée : l’esprit dans un état second – mais d’abord, l’entendement ou la raison ? et la volonté dans tout ça ? – non, pas Dieu, on lui a réglé son compte dans la troisième méditation (le chiffre de la sainte trinité) et depuis, il nous est bien utile en tout. En fait, Dieu en philo, c’est le mot fourre-tout dans lequel on range tout ce que nous ne pouvons pas comprendre même si on peut à la vérité le saisir par la pensée. La faille à tout système parfait, que l’on colmate et recouvre du tableau de la toute-puissance de son propriétaire. Au final, la faille a disparu sous l’aveuglement de tant de perfection, c’est magique. Tout comme l’imperturbable et tranquille résistance de notre professeur de philosophie, à côté de qui le lapin Duracell ferait pâle figure.

Dans une classe où, en lapins de piètre qualité (parce que sans marque sauf celle que Dieu a laissé sur son ouvrage), nous gisons batterie à plat (d’où que les batteries tiendraient neuf heures maintenant ?) sur nos feuilles et nos incompréhensions, il continue sa course, en gambadant gaiement entre les difficultés de la pensée de Descartes, folâtre gaiement dans les buissons de définitions, franchit les ponts entre les différentes méditations puis s’abreuve avec délectation (grâce soit rendue à l’institution de la nature qui me signale la soif par un desséchement du gosier) à la fontaine de mots. Je ne peux pas dire que je ne boirai jamais de son eau : le lapin qui n’a rien d’un lièvre est en fait une tortue refoulée (l’allure, le cou –pas le débit de paroles, malheureusement pour nos poignets crispés). Imaginez le scandale, que le lapin Duracell soit une tortue refoulée… il ne manquerait plus qu’Orphée module ses chants sur la creuse écaille de sa lyre, et on aurait tout vu. Heureusement, on a morflé MOrphée.

Le Timide au Palais, de Tirso de Molina

Sortie khâgneuse mardi soir à Montansier. Aucun a priori, puisque je ne connaissais pas la pièce, ni même le nom de l’auteur – *inculte power*. Juste la curiosité d’être de l’autre côté de la rampe dans le théâtre où j’ai passé tous mes examens de danse. Montansier pour moi, c’est un vrai terrain de jeu, le jeu de la comédie et le jeu de se croire en spectacle. Un petit Palais Garnier en miniature où l’on allait tester tous les points de vue de la salle – mais surtout celui du parterre- habillées n’importe comment, en chaussons, une chauffe enfilée à la hâte, à observer les autres passer leur variation, dans l’odeur de la laque à cheveux. C’est aussi des loges lumineuses, aussi diurnes que les coulisses sont nocturnes –plus qu’un après-midi au cinéma- qui donnent sur les rires et les rumeurs des jardins du château, curieusement proches par rapport au retour de scène.
Mardi soir, des scolaires qui transforment le hall en cours de récréation, des courses poursuites dans les couloirs, une ouvreuse qui se laisse déborder avec professionnalisme et le poulailler à tous les étages. Je me serais bien passée des commentaires pleins de sébums et d’hormones qui surgissaient derrière moi, mais enfin…

 

Au début de la pièce, j’ai eu un peu peur : je ne comprenais pas grand-chose à la diction du comte, qui de plus se battait au fleuret, et les premières scènes se sont succédées sans qu’on puisse voir de liens entre elles, ni supposer lesquelles introduisaient l’intrigue principale. Et surtout, une certaine réticence dans la surenchère des effets de comique lourd – avec notamment une battue faite par des paysans bercés un peu trop près du mur, auprès desquels les visiteurs sont fins et subtils – bref, le genre de comique qui entraîne le rire de la salle comme une bande-son de rires préenregistrés – et qu’on vous rajoute une grimace !

Heureusement, j’ai trouvé mon comte, l’intrigue s’est ficelée et le comique a été plus éclaté. C’est une histoire relativement classique, avec un comte veuf qui cherche à marier ses filles, qui n’ont fait qu’à leur jolie tête, des prétendants trop sûrs d’eux et des amants indécis –le personnage éponyme de la pièce, qui vire schizophrène de timidité – ainsi que ce qu’il faut de retournements, de (dé)tours et de pirouettes incroyables à force de vraisemblance. Le parti pris de la mise en scène surtout était excellent. Pas de modernité à tout prix, mais un jeu très contemporain. Le metteur en scène n’a pas hésité à tailler dans le texte (plus de cinq heures en VO – merci pour la coupe !) et à rajouter tout un hors scène très drôle. Un homme vient la bouche en chœur vous expliquer ce qui va suivre, planter le décor en zigzaguant un treillage devant vos yeux de la paume de ses mains, ou annoncer l’acte suivant. Rires à la scène 2 de l’acte 2, quand le personnage assis à sa droite fait deux signes de la victoire à l’annonce de la scène. Et puis aussi lorsque le prologue (si, si, cela lui va bien comme nom) arrive ivre. Et plus encore lorsqu’il se fait le traducteur des didascalies espagnoles et qu’il reste à répéter « la nuit » jusqu’à ce que le technicien envoie un éclairage lunaire. Ce prologue est le pendant extérieur de la mise en abyme interne, l’une des filles jouant à l’actrice. Amusant clin d’œil qui déclenche de l’hilarité lorsqu’en professeur tout à fait conforme à la Bacchante, le prologue retourne le miroir et se met à nous exposer le schéma actantiel de l’acte manquant pour la vraisemblance d’un retournement tout à fait improbable – et oui, oui, le timide paysan est bien le fils d’un noble seigneur (pas Romulus, mais tout juste). Les personnages inconnus se déclinent en initiales sur le tableau, entourées, liées entre elles, croisées avec une lettre qui ne nous évoque plus le reste du nom ; l’adjuvant se retrouve au coin sous forme d’un smiley et l’hilarité fait salle comblée lorsque, mimant le si commode secret de famille du père prodigue, le prologue finit par agoniser et ses derniers tressaillements tracent à la craie un diagramme cardiaque agité. Il défaille en ligne droite et je suis morte de rire. Un acte en un éclat de rire, c’est ce qu’on appelle de l’efficacité.

C’est un univers de jeu ; le prologue (le vrai, pas le personnage) montrant un atelier de couture comme décor. Les robes invitent au costume, les étoffes au déguisements, tandis que derrière un rouleau de tisse au mètre, un piano accompagne ces histoires enfantines. Une chute de tissu sert d’interlocutrice pour renvoyer une fiancée, et même les accessoires sont parfaits pour embobiner Séraphina, la fille aînée du comte. Le prétendant lui mime son bobard avec des personnages en bobines de fil, le duc en bleu, l’enfant illégitime en canette du même acabit et les espions en noir qui volettent autour comme des corbeaux aux mains du prétendant. Cousu de fil blanc ! Et lors du prologue les mimes des machines à coudre… vraiment, le « jeu corporel » des acteurs en fait de véritables mimes. Mention particulière au héraut qui, alors qu’il raconte quelque histoire vraisemblable qu’il a attrapée à la volée, semble jouer au tennis, court de la cour au jardin, renvoie une réplique, attrape une réponse avant qu’un autre personnage saisisse toute l’affaire en attrapant la balle. Vraiment, toutes ces manières de traiter les digressions du récit sont réjouissantes, et quel rythme !

Il y a aussi, au fil de la mémoire, un lit dressé à la verticale et sur lequel le timide recroquevillé par terre semble assis, puis sous lequel il se cache au gré du rêve agité de son amante ; le héraut étranglé parce que sa voisine tire sur son cartable pour ne pas voir le duel qui a lieu ; un comte recroquevillé qui se croit le « roi des écrevisses » (applaudissements pour cette absurdité)… J’ai vraiment passé un bon moment, à rire sans arrière pensée.

 

Par la Compagnie du Catogan / Mise en scène Gwenhaël de Gouvello / Adaptation Robert Angebaud / Avec Gregori Baquet, Jean-Michel Canonne, Brigitte Damiens, Marie Grach, François Kergourlay, Marie Provence, Rainer Sievert, Stephen Szekely, Jean-Benoît Terral, Éric Wolfer.
Création musicale Damien Joëts, Christian Huet / Décors Éric den Hartog / Costumes Anaïs Sauterey / Lumières Stéphane Baquet / Maquillage Laurence Otteny

 

Voilà qui résume : Sur un ton un peu goguenard, dans un décor de carton-pâte, avec des costumes qui ne se prennent pas plus au sérieux que les comédiens qui les portent, tous conduisent avec une belle énergie et dans un véritable esprit de troupe cette comédie légère de cape et d’épée qui ne parle que d’amour.

 

Commentaire²

Commentaire sur commentaire, c’est soi une petite mise en abyme comme je les aime (la mise en abyme est un des trucs qui me fait tripper – on s’amuse comme on peut), soi que vous avez travaillé comme un malade pendant les vacances. Mais de ce côté, je mène une vie très –trop- saine. Pourtant, les commentaires linéaires en français m’amusent. Se pencher sur un texte, le décortiquer sans le désarticuler, voir pourquoi le texte nous fait de l’effet (ou pourquoi il nous ennuie à mourir – le Rouge et le Noir est un roman détestable, mais à présent je ne dis plus que Julien m’horripile, mais, en connaissance de cause, que l’alternance consonance/dissonance du narrateur avec son personnage est trop mécanique pour ne pas me porter sur les nerfs)… après une explication, on connaît le texte presque par cœur et on est davantage porté à s’extasier sur certaines formulations. Plus je lis les extraits à commenter du Côté de Guermantes, plus le foutage-de-gueule gentil mais général m’éclate. La réputation de l’esprit Guermantes qui est comme les rillettes de Tours ou les gâteaux de Reims… telle grande dame qui fait un présent à la grand-mère du narrateur comme du pain à une biche du jardin d’Acclimatation…

Les commentaires composés, en revanche, je ne m’y acclimate pas. Ce sont des contrées trop étrangères, latines ou anglo-saxonnes. S’extasier sur la vertu d’un sage romain ou se pencher sur le mariage en Germanie n’a rien de très engageant. Mais alors structurer un commentaire articulé avec des parties, des sous-parties, leur sainte trinité et des articulations logiques et pas rhétoriques (mais une relecture de la correction montre la suprématie de la rhétorique qui arrive parfois à se faire passer pour logique ou –tour plus impressionnant encore- pour naturelle) relève d’un mécanisme que je n’ai toujours pas saisi. Il y a quelque chose du mystère, auquel je serai peut-être initiée le jour où je comprendrai en quoi un running commentary (dont vous sortez toujours à bout de souffle) n’est pas un commentaire linéaire. Une problématique, oui, oui, je sais – il est bien connu qu’on enfile les mots comme des perles en français, sans aucun fil directeur qui plus est. Déjà un commentaire en anglais est un exercice hybride (il me semble avoir entendu dire que les Anglais ne font pas de commentaire de texte à proprement parler) : cela sonne affreusement français – même dans l’anglais le plus châtié. Il doit donc y avoir une approche particulière du commentaire en anglais, mais ayant la curieuse impression que le jury incline vers des plans type fonds-forme ( genre : I slang II content – vying men III Is this still drama ?) (encore pire que thèse, antithèse, sytnhèse ou encore oui, non, merde), je ne sais toujours pas en quoi elle consiste.

Le plan de commentaire que je préfère, c’est celui de philosophie : démonstration avec ordre et méthode, ça se suit, c’est formidable. A tel point que des fois, on se demande si on est vraiment en train de commenter. Au fonds, commenter c’est quoi ? Rajouter quelque chose, dire autrement ? Mais alors, on serait dans la glose ou la paraphrase… (le seul cas où cette dernière est souhaitable, c’est la Physique d’Aristote : tellement emberlificoté que toute paraphrase cohérente est déjà une interprétation. Je vous assomme avec Aristote, mais on finit toujours plus ou moins traumatisé par ce qu’on étudie un peu plus attentivement : des volontaires pour la Princesse de Clèves ? Diderot, peut-être ?). Petite mécanique un brin absurde et toujours un grain de sable pour l’enrayer.

Pareil pour les commentaires de blog : on ne sait pas toujours ce qu’on y met. On y trouve dans l’absolu de vrais commentaires, des propos constructifs qui contredisent, nuancent, apportent des précisions (ou s’insurgent contre des énormités dont je n’aurais pas soupçonné un camarade khâgneux l’année dernière)… mais ça critiquaille vite. Vite ennuyeux. Bien plus drôles sont les détournements de commentaires – mineurs mais réjouissants :

la private joke, le commentaire complice par excellence.

La conversation à bâtons rompus, rarement lue par le lecteur suivant.

le commentaire inutile mais indispensable : à son auteur pour exprimer son assentiment et surtout sa présence, un peu comme il signerait une feuille de présence ou un livre d’or (pour pouvoir dire, comme le bourdon dans la pub pour le sucre « J’étais là ! »), ainsi qu’à son destinataire, qui se rassure en constatant qu’il ne parle pas dans le vide.
Variante : l’émargement sans enthousiasme, comme le Vu qu’un professeur griffonne en bas d’une page sans grande erreur mais qui ne présente pas grand intérêt non plus. Mauvais signe : manque de finesse dans un cas, monotonie de ce qu’on donne en pâture lecture dans l’autre.

Petite chose choupinette trouvée .

Le commentaire qui vient annoncer son commanditaire, affiche haut et fort un nouveau pseudonyme, et prie pour qu’on noue ou du moins clique le lien imposé proposé. Une carte de visite, en somme – plus policée que la réclame des adolescentes got
hiques qui ordonnent à leurs serviteurs visiteurs de lâcher leurs comm’, elle réclame plus de tact. Du coup, laisser un premier commentaire relève soi d’une hésitation bien réfléchie (qui tourne le plus souvent à la pure et simple abstention), soi d’un coup de folie (qui ne porte pas vraiment à conséquence, il est vrai.)

Le commentaire qui souligne une coquille, une contradiction ou quoi que ce soit qui trahisse le fait que vous avez posté à des heures indues.

Le commentaire qui raconte sa vie et finit par être un autre article en apposition, un peu comme les notes des polys de Mimi qui font parfois une page. C’est assez miamesque à lire. Sauf s’il remplace le blog que l’auteur ne veut pas ouvrir.

Le commentaire-réponse. On ne peut pas y résister : un peu comme les tests dans les magazines, où l’on finit toujours par compter le nombre de carré, de ronds, d’étoiles et de conneries entourées.
Variante : le commentaire-réponse sans question posée. Il diffère du racontage de vie en ce qu’il vient prendre le contrepied d’un article précis, à savoir, « y’a personne ! », « je crois que personne ne lit ce que j’écris » ou sa version moins élégiaque « c’est bizarre, j’ai un taux de visites anormalement élevé et peu de commentaire, comme c’est bizarre ».

Le commentaire désobligeant ou insultant. No comment.

L’imitation, la parodie, l’exercice de style… je trouve très amusante la tendance qu’on a de reprendre la forme de l’article commenté, une de ses métaphores filées ou le thon. Chez le Sushi (dont je n’ai pas l’adresse sur cet ordi là), par exemple, tout le monde parle de lui à la troisième personne – on dirait des altesses tenant salon. Chez Monkeyz’, c’était les métaphores guerrières. Le plaisir d’écrire et de s’encourager les uns les autres.

Le remerciement d’avoir laissé l’aumône un commentaire sur un autre blog. En cas d’excès de politesse, cela devient insupportable d’autocongratulation et surtout incompréhensible, jamais en rapport avec un seul article. Mieux vaut lui préférer la réplique, poignée de main qu’on distribue en tournée générale, remerciement collectif ou nominatif – plus sincère puisque reste chez soi.

Le silence, obligé lorsque le propriétaire du blog a désactivé la fonction commentaire. Je dois dire que cela m’intrigue : j’hésite à chaque fois entre admiration pour celui qui ne cherche pas à sonder l’avis de ses lecteurs et agacement contre celui musèle ses lecteurs, les empêchent d’exprimer ne serait-ce que leur enthousiasme et au fonds se fichent bien de savoir s’ils existent ou non. Vous me direz, ce qui est fait pour être lu ne l’est pas nécessairement pour être commenté…

Rogar !

Questionnaire réalisé par Inci, avec la collaboration de F. Gaffiot.

A. Aeneas (Énée, héros latin)
Ton héros favori. Je n’aime pas être collée dès la première question. Le personnage de Bruce Willis dans Die Hart ?

B. bibax (grand buveur)
Ta boisson favorite. On va faire semblant d’avoir lu la question au pluriel. Nectar de mangue, de poire, de banane (éventuellement mélangé avec de la fraise, genre gâteau marbré) d’un côté et thé – surtout le thé de Noël à la cannelle- de l’autre. Et puis le chocolat chaud maison tout mousseux quand il sort du thermomix.

C. Caelum (ciel)
Ton signe astrologique. Lion ascendant Scorpion. La douceur incarnée.

D. Disciplina (action d’apprendre)
Les études que tu aurais faites si tu n’avais pas fait celles que tu as choisies. De l’anglais, vielleicht.

E. Elenchus (perle en forme de poire (!) )
Pierre ou métal précieux que tu affectionnes particulièrement. L’argent. Mais particulièrement, je ne sais pas.

F. Fatum (destin)
Ecris ton horoscope pour la semaine à venir.
« **Argent : calmez-vous sur le shopping.
* Travail : Mars déclenche le branle-bas de combat. Si vous avez assuré vos arrières, tout ira bien, sinon mettez les bouchées double avant que le ciel et ses astres vous tombent sur la tête.
Amour : premier décan, si vous êtes en couple, traversée du désert, deuxième décan, célibataire, la lune ne vous sauve pas dudit désert.
*** Forme : le repos vous va bien. » Verdict : puis-je rejoindre l’équipe du 20 min ?

G. Graecum (la langue grec)
Langues que tu apprends / as apprises et celles que tu souhaiterais apprendre un jour. Je lis anglais, j’oublie (j’ai oublié ?) l’allemand, j’apprends le latin. En seconde je voulais faire du grec ancien, mais l’envie m’est passée. En revanche, j’adorerais me mettre au russe. Mais d’abord me remettre à l’allemand. Mais avant tout, travailler mon anglais.

H. Hamadryades (hamadryades, nymphe des forêts)
Être ou créature légendaire ou mythique qui te fait rêver. Il y a une dizaine d’années, j’aurais pu répondre les pokémons légendaires, mais j’ai du devenir désespérément terre à terre. Sinon des objets du type pensine ou retourneur de temps, mais un être légendaire… le prince charmant ? Non, je sais, le Père Noël ! Non, non, mieux : la petite souris !

I. Inscitia (gaucherie, incapacité)
Ce que tu ne sais pas faire. Des crêpes sans en rater la moitié, le triple salto arrière (avant non plus d’ailleurs), les créneaux d’une seule main (déjà à deux, je peux m’y reprendre à trois fois)… mais surtout, je ne sais pas CHOISIR.

J. Jura (le Jura)
Y a-t-il un lieu en France où tu n’es jamais allé, et où tu aimerais aller? Je serais assez partante pour accompagner Inci en Alsace. Mais je suis somme toute assez peu curieuse de la France.

K. Karthago (Carthage)
Le voyage que tu rêves de faire. J’ai déjà été assez gâtée sur ce plan, mais une petite piqûre de rappel pour les Etats-Unis ou l’Autriche… Et je veux visiter Berlin (comme si on n’avait pas assez entendu parler de la Wiedervereinigung).

L. liber (livre)
Décris la couverture du livre qui traîne à côté de ton ordinateur. Des engrenages mauves et bleu, un demi-cadre jaune… je pense que les optionnaires philo pourront dire ce qu’il y a d’écrit dessus en blanc.

M. memoria (mémoire)
Ton premier souvenir. Parce que vous croyez qu’en plus de me souvenir, je classe chronologiquement ?

N. nimbus (pluie d’orage, averse)
Décris ce que tu aimes dans la pluie. (Pourquoi suppose-t-on que j’aime la pluie ?) Quand elle cesse. L’odeur de l’asphalte mouillée, les morceaux de ciel dans les flaques et les irisations avec le soleil… sans se faire saucer. Ou alors, quand je suis à l’intérieur, sur le canapé avec une tasse de thé – là j’aime la pluie pour le contraste qu’elle offre.

O. odor (odeur)
Décris l’odeur qui te marque le plus dans ton quotidien. La bouffée graisseuse d’huile qui sort de l’aération de la cantine quand, à huit heures du matin, je monte au bâtiment scientifique par l’escalier du côté. Et l’odeur hebdomadaire, ce sont les frites de la cantine. Sinon, plus dans le registre fragrance, il y a l’odeur de ma poudre fond de teint Bourgeois.

P. piger (paresseux)
Ton péché capital. La morfale- attitude. C’est tout à fait différend.

Q. Quinta (prénom féminin)
Le prénom féminin que tu choisirais si tu devais avoir une fille. Même au conditionnel, je suis arrêtée par l’idée que les mômes, c’est le diable. Même pas habillé en Prada.

R. Rana (grenouille)
L’animal qui te ressemble. Ai-je vraiment besoin de répondre ? –même si je ressemblerais plutôt à une girafe question taille. De toute façon, je suis une ménagerie à moi toute seule. Mon père m’appelait bien grenouille quand j’étais petite.

S. sagina (engraissement, bedaine)
Ce que tu ne peux t’empêcher de manger, tout en sachant pertinemment que ce n’est pas raisonnable. Je peux m’empêcher. La preuve, le pot de peanut butter a beau être entamé, son niveau est constant et il ne sort pas du placard. (Mais des fois je me permets et je peux regretter : le pudding nappé de chocolat, le nutella, les croissants aux amandes et surtout, tous les plats que je me RESSERS…)

T. tibia (flûte)
L’instrument de musique qui t’émeut le plus. Le violon, peut-être. Mais bon, c’est plus une question de musique que d’instrument.

U. Ucalegon (nom d’un Troyen)
Le prénom masculin que tu choisirais si tu devais avoir un fils. Je vais prier pour que cela n’arrive pas.

V. video (je vois)
Cite trois films que tu as vus et commençant par la même lettre. Dis ce que tu en as pensé. Vive les articles définis ! Les Chansons d’amour, La Jeune Fille à la perle, Le Parfum : les deux premiers sont aussi fantastiques que le troisième est profondément ennuyeux (alors que le bouquin est une merveille).

W. Wardo (le Gardon, rivière)
Observe un planisphère, et choisis un cours d’eau dont le nom te fait rêver. Que t’évoque-t-il? Peut-être la Seine, à cause de l’homonyme qu’elle m’évoque. Un rêve à portée de Navigo, en plus.

X. xysticus (gymnase)
Un sport que détestes particulièrement. Les sports où il y a une balle (ping-pong excepté) et tous les sports collectifs – vous me direz, les deux se recoupent souvent.

Y. yssopum (hysope, arbrisseau)
Y a-t-il un arbre ou une plante qui garde une place particulière dans tes souvenirs? Le cyprès devant la maison de mon arrière grand-mère (la polysémie du mot révélée à Chypre, aussi 😉 et les peupliers dans la maison fictive du personnage d’Anne dans la saga de Lucie Maud Montgomery. Mais bon, je n’irais pas planquer une divinité derrière non plus.

Z. zotheca (boudoir, cabinet de repos)
Décris la bibliothèque de tes rêves. Un mixte impossible entre la bibliothèque de Prague assombrie, avec des rayonnages imposants qui grimpent jusqu’à la voûte du plafond (avec une échelle pour les atteindre – l’échelle est très importante) et un espace beaucoup plus petit, très lumineux, très chaud, confortable… une biblio ancienne et une salle de lecture moderne en somme. Ou alors la bibliothèque commémorative de Komura pour le décor (mais pas pour son fonds). Et quoiqu’il en soit, un rayon bien fourni niveau danse.

Et maintenant, on mesure la vitesse de propagation de ce questionnaire dans la blogosphère en taguant tous azimuts : Bamboo, V., Sirop de violette, Sara, Yannick, Melendili
quand elle ressuscitera virtuellement…

On va se piquer la truffe !

Mon arrière grand-mère, 93 ans, Jeanette, 86, ma mère et moi. Je ne sais pas vraiment comment le dîner a commencé. Ou plutôt je sais qu’il a commencé avec la commande d’une bouteille de rosé. « On va se piquer la truffe », déclare ma grand-mère, ladite truffe dans le ballon du verre. La mienne pique dans mon assiette où la préfiguration du poisson à dépiauter m’empêche de rire. Un carnaval d’expressions défile tandis que derrière mon loup je gratte sa peau grillée. Je perds un peu le fil du pressage des olives lors de l’opération délicate qui consiste à ôter l’arrête centrale et de pouvoir enfin se débarrasser de la tête. Soixante treize kilos d’olive, ce n’est pas rien. Les deux comparses s’arsouillent gaillardement ; les deux chapons que nous sommes ma mère et moi faisons presque chaperons rouges à côté de nos deux mères-grand en goguette. « Vous reprendrez bien un verre de vin, Jeanette » -sûr qu’au bout de cinquante huit ans, on n’est pas intimes. Il faudra peut- être attendre le siècle avant de se tutoyer. « Elle tient mieux le vin que moi », explique ma grand-mère à sa petite-fille. Drôle de (troisième) personne ! Jeanette adore conduire, petite, son père mécano, elle aurait bien conduit le camion en avant en arrière, là, vous imaginez, au volant, en avant an arrière, sur les routes, là, en avant et en arrière – autant de fois que je rencontre d’aubergines dans mes lasagnes de légumes. Puis sur l’index, elle admirait aussi les toréros mais, négation de la main, pas la mise à mort. C’est drôle, c’est plutôt en taureau qu’en toréro que je l’imaginerais. Je ne sais pas si elle verrait rouge, mais toujours est-il qu’elle boit rose. Il va de soi que l’effet blush intégré sur les joues de ma grand-mère est dû à la couperose – et certainement pas à sa dernière syllabe bien arrosée. Et la marmotte, elle met le chocolat dans l’papier d’alu. Enfin… Jeanette réclame surtout qu’on mette l’os de sa souris d’agneau au miel et romarin dans un cellofrais pour sa chienne. La chocolat, quant à lui, est dans mon verre de liégeois. Mon attention vacille au gré de la bougie qui se noie paisiblement dans son photophore, au milieu des verres, indifférent au flot des souvenirs. Ce sont les deux grand-mères qui boivent ; ma mère et moi qui rions. Bu cul-sec : un verre de genépi (traduction phonétique) offert par la maison,  et j’escorte ma grand-mère jusqu’à la sienne. On demande à l’autre gamine si tout va droit et elle se retourne comme un petit Arlequin, sur une jambe, genou plié, coude au genou et doigt sur le nez – pied-de-nez en moins. Comme quoi, une vie équilibrée…