Mort nez

Il ne suffit pas d’un bon orchestre et d’un bon programme pour faire une bonne soirée. J’en ai encore eu la preuve hier à la salle Pleyel, que le public a manifestement pris pour un sanatorium : on a battu des records de tuberculeux au mètre carré. Entre deux toux, on pouvait pourtant deviner la beauté des Kindertotenlieder de Mahler, tout aussi dépouillés que la Musique funèbre maçonnique de Mozart donnée en ouverture, et comme fascinés par la mort d’êtres qui ont à peine eu le temps de vivre, hantés par leurs regards passés et leur absence présente.

À l’entracte, fuyant les tuberculeux du parterre, je me retrouve au premier balcon, avec pour voisin un nez siffleur. Neuf cors et une armée de trompettes suffisaient à peine à couvrir le bruit de ses nasaux et j’ai passé Une Vie de héros de Strauss avec la main en conque autour de l’oreille – vous parlez d’un exploit ! Entraînée par les flûtes railleuses, j’ai imaginé toutes sortes de vicissitudes que les nez siffleurs auraient pu endurer si Dante avait prévu un cercle de l’enfer spécialement pour eux – mais les entendre mouchés par Strauss, ce n’est pas mal non plus, il faut bien l’avouer.

Bref, un concert qui s’appréciera en replay.

Merci comme Matthias

Des lieder : de Schubert, oui, mais de Mahler ? De Chostakovitch, surtout ? À quoi peuvent bien ressembler des poèmes romantiques mis en musique par le maître de l’ironie symphonique ? Contrairement à ce que j’aurais cru, la Suite Michelangelo n’est pas une œuvre de jeunesse, influencée par ses études au conservatoire, mais de maturité. C’est la voix raillée, qui tente de se faire entendre alors qu’on lui coupe la parole de toute part, la voix perdue dans le tintamarre grandissant, la voix esseulée qui s’élève au milieu des symphonies, lorsque les vagues sonores se sont retirées, découvrant un paysage désolé. Les lieder de Chostakovitch, c’est cette voix débarrassée de ce qui l’étouffe, du combat pour prendre la parole, prendre part à la société, qui ne chante plus que pour elle-même, dans la plus grande nudité – un chant pour s’entendre vivre et vibrer, avant de disparaître. Cela n’empêche pas les accès sautillant de temps en temps, où la main du pianiste (Leif Ove Andsnes) se met à rebondir sur place, mais c’est plus serein, plus apaisé que tout ce que j’ai pu entendre jusqu’ici du compositeur.

Ses lieder alternent avec ceux de Mahler, dont on imagine la teneur à partir de leurs titres si délicieusement allemands (« Es sungen drei Engel einen süssen Gesang », « Ich bin der Welt abhanden gekommen ») et des mots que l’on glane ça et là, toujours avec beaucoup de Herz. On a l’impression que le poète a pris la terre à pleines mains, qu’il a ressenti tout ce que le monde pouvait lui offrir (avec cette intensité des poètes pour qui un frisson est un tremblement de terre) et que, fatigué par cette offrande, il se tient à présent un peu en retrait du monde – comme nous qui sommes là, à cet instant, dans la pénombre et la tiédeur d’une salle de spectacle. 

La voix de Matthias Goerne nous enrobe si bien que l’on est dans sa voix comme dans une couette. C’est l’équivalent psychique de la détente physique, lorsque toutes les tensions de la journée, senties plus vivement au moment où l’on s’allonge, se relâchent (ou lorsque, comme c’était mon cas, on s’assoie enfin après avoir longuement piétiné lors d’une exposition). Tout est adouci alors que les sensations sont décuplées : peu importe que le lied soit triste, joyeux, tendre ou mélancolique, il donne à vivre pleinement, la souffrance de l’âme devenant doucement une expérience parmi d’autres. Chagrins, peurs et nostalgie servent une sensation de plénitude, au même titre que la gaîté, le plaisir et les souvenirs heureux. Pour cet apaisement, cette sérénité, cette joie, en somme, merci à Matthias Goerne et merci à Palpatine pour m’avoir offert la place et à son accompagnatrice initiale pour me l’avoir cédée. La séance de dédicace qui a suivie était pour ainsi dire superflue : lorsqu’un récital laisse sans voix, cela se transforme en séance de signatures à la chaîne. Mais bon, se perdre dans ses yeux pendant que Palpatine enrichit sa collection de grigris n’est jamais de refus.

Souvenirs en sourdine

Mozart / Bruckner

Mon souvenir du concerto s’est amalgamé à d’autres, qui, répétés, mélangés, oubliés forgent l’imaginaire d’un compositeur, qui fera dire : c’est du Mozart, comme on dirait : c’est du chocolat et de la pâte d’amande, en croquant dans une Mozartkugel. Avalé, on n’en a pas de souvenir plus précis que : c’était bon ; il faudra en goûter à nouveau pour en retrouver la saveur.

L’effet que m’a fait la messe de Bruckner, en revanche, je m’en souviens beaucoup plus distinctement. Par pur préjugé onomastique, j’ai longtemps renâclé devant ce compositeur. Et puis : la messe. Un Léviathan spirituel qui vous fait sentir appartenir au chœur des chanteurs et des hommes, qui doutent souvent, sombrent et souffrent parfois mais sont toujours soutenus, sans cesse soulevés, entraînés par cette foi moins divine qu’humaine, divinement humaine, qui tire sa force et sa beauté de sa fragilité même. Je découvre ce qu’est une communion, une comme union, une presque union qui vous comprend sans jamais vous perdre dans le tout, lequel se dissoudra plutôt que de risquer de vous écraser – une gigantesque vague se brisant d’elle-même en innombrables gouttes d’écume.

 

 Mit Palpatine

 

Bartók / Janáček

À la recherche du concert perdu. Bartók / Janáček : si je l’ai noté sur mon post-it à chroniquettes, c’est que j’y ai assisté.

Le brainstorming donne :

trous : 1 / mémoire : 0

La recherche sur le blog de l’Orchestre de Paris :

résultats : 78 / résultat : 0

Nombre de pages d’archive sur blog de Palpatine :

Lola : 14 / Bartók : 4 / Janáček: 3 / Bartók-Janáček : 1 dont 0 concordance

Le googlage Klari + Bartók + Janáček me renvoie chez Joël, qui remporte donc la palme du blogueur le plus assidu (concert du 22 février, par Radio France – je pouvais toujours chercher du côté de l’Orchestre de Paris). Une petite vérification sur Wikipédia1, un brin de reconstitution, un soupçon d’imagination et voilà la Sinfonietta avec sa rangée de trompettes à la place du chœur. Ouf !

 

Mahler

Mahler, alors qu’il s’agissait en réalité de Sibelius / Chostakovitch / Malher : c’est dire si « la mahlerisation souristique est en marche ». Toute la symphonie pourrait se résumer en une image : le lutin Paavo Järvi, agitant sa baguette comme un chef de chantier agiterait les bras pour diriger la manœuvre, fait surgir un immense tronc d’arbre de terre, un tronc géant, façon géant de la mythologie germanique, une colonne d’écorce volcanique, qui jaillit en continu dans un tremblement de terre formidable – force tellurique qui n’est pas sans rappeler l’iconographie et la temporalité des mangas…

 

Détail d'une capture d'écran de Dragon Ball (je crois)